Le slam, plus que poétique

On termine notre cycle de poésie, notamment la poésie au féminin, avec une variante intéressante, le slam, plus que poétique. Pourquoi ? Parce que la poésie emmène votre corps sur une scène. Et pour mieux saisir cet art, j’ai interviewé Laura Schlichter, une poétesse, slameuse belge de talent à découvrir pour le plaisir de la langue écrite et orale. Vous me suivez, les passagers ?

Le slam, plus que poétique, c'est aussi scénique.
Le slam. Photo by cottonbro studio on Pexels.com

Qu’est-ce que le Slam ?

Peut-être pensez-vous à Eminen, dans 8 miles, en train de concourir avec des rappeurs, entre rage et manque de confiance en lui, désir de réussite et tirades incisives. Monter sur scène, déclamer un texte, un texte engagé, fort, personnel, se montrer le meilleur, le plus persuasif, c’est du slam… Mais dans le film, il est question de rap. Le slam, c’est encore différent.

Le slam veut dire claquer, en anglais. Tout un programme.

L’artiste doit déclamer pendant deux ou trois minutes de la poésie plutôt engagée, en mettant en scène sa voix, son texte, son corps, pour impliquer le public.

La parole n’est pas accompagnée par une musique, c’est le poète qui porte tout, ce qui rend l’exercice difficile et passionnant. Grand Corps Malade est un des slameurs français les plus connus. Gaël Faye (il a écrit Petit pays) a également contribué au développement de cet art.

Marc Smith, poète américain né en 1949, est l’inventeur du Slam, en 1986. Il est le meneur de la troupe de poètes le Chicago Poetry. C’est dans un club de jazz, dans un quartier défavorisé de Chicago, qu’il lance ces espèces de tournois de poésie, afin de désacraliser un genre qui pourrait rester élitiste.

On découvre le slam en France en 1998 au travers du film américain Slam, de Marc Levin, récompensé au festival de Canne. C’est l’histoire d’un homme en prison qui va slamer et rapper pour supporter sa condition.

Les codes du slam :

  • utilisation d’argots, verlan, etc. ;
  • Rythmique travaillée ;
  • jeux de mots, sonorité, musique de la voix ;
  • mise en scène du corps comme de la voix ;
  • Texte engagé ;
  • Rarement des instruments : la voix, le texte et le corps suffisent ;
  • forme libre, mais sur scène.

Alors, mes passagers, ça ne vous donne pas envie d’essayer ? La versification sort du papier, s’invite dans l’air, les corps, sur les planches, en public… c’est une autre manière de l’aborder.

Mar Smith, slameur.
Marc Smith, créateur du Slam. Par pierre@lazone — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=18432438

Interview de Laura Schlichter

Peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Je m’appelle Laura Schlichter, mais dans le monde de la poésie et du Slam j’ai choisi le blaze de « Laura dans l’Air » (histoire d’éviter les problèmes de prononciation que génère mon nom de famille !).

Qu’est-ce qui t’a menée jusqu’au Slam ? Qu’est-ce que ça t’apporte ?

J’ai démarré l’écriture poétique en novembre 2020 lors d’un stage en ligne de Slam animé par la slameuse et poétesse belge, Lisette Lombé. 8 h pour comprendre un peu mieux le périmètre de cet art de la parole. Ce fut, en plus d’une claque, une révélation !

J’ai, à partir de ce moment, fait de mon compte Instagram @laura_dans_lair un compte orienté poésie multiressources : mots, sons, vie et photos. Une sorte de laboratoire où la dynamique et les échanges avec les lecteur. rices sont fondamentaux.
En parallèle de la poésie, je suis consultante en communication depuis trop longtemps pour le dire (rires) ! J’ai toujours écrit, mais jamais vraiment pour moi !

Une fois connectée à la poésie et au slam, j’ai mis beaucoup de temps à franchir le cap de la scène. Une bonne année. Il a fallu attendre que les lieux de culture réouvrent, d’abord. Mais, je crois que cela m’allait bien de ne pas avoir à me confronter à l’une de mes plus grandes peurs : m’exprimer en public.
Puis, j’ai osé ! J’ai sauté dans le vide… et j’y suis retournée, d’abord parce que cela me créait autant d’occasions de rencontrer des membres du milieu belge. J’ai compris que le slam était l’art par excellence de la fragilité. Parfois, on va slamer quelques heures après avoir écrit un texte en atelier. Rien n’est parfait. Rien n’est complètement abouti. Mais cela fait partie de la discipline ! Le slam m’apprend le lâcher-prise à haute dose ! Me rappelle que l’émotion ne passe pas forcément par la perfection !
Depuis, j’ai rejoint le collectif Bruxellois « Slameke » qui organise 2 fois par mois des scènes ouvertes. Des scènes comme à l’époque de Mark Smith (le fondateur des premières scènes ouvertes slam aux USA dans les 80’s).
Mêmes règles :
– 3 minutes max sur scène,
– Son propre texte,
– Pas de déguisement/costume !

Ce qui signifie : On vient comme on est, apporter sur scène sa propre voix (sans musique) dans un temps démocratique !

Laura Schlichter, slam et poésie.
Laura Schlichter, slameuse belge.

Peux-tu parler de ton travail avec les lycéens ?

Pour un. e slameur.euse, transmettre fait vite partie de la dynamique, en plus de la scène. En rejoignant Slameke, j’ai pu participer à des appels à projets pour animer des ateliers d’initiation au slam dans les écoles secondaires (lycées) belges francophones. Lors de cycles de 2x 2 h, je dois communiquer les valeurs du slam, une boîte à outils d’écriture poétique ainsi que les bases pour déclamer devant la classe ou un public. C’est court, intense, confrontant, mais de cette fragilité émergent souvent des petits miracles ! Des lâcher-prises, des révélations à soi-même !
En plus de transmettre, cela me permet d’être à l’écoute de paroles adolescentes sur des sujets brûlants : les inégalités, l’injustice, le harcèlement, la famille, les relations toxiques, les réseaux, l’amour, le temps, la famille, l’école, l’avenir, l’écologie…

Même si les références de ces ados sont plus ancrées dans le rap — là où mon curseur est sur la chanson à texte francophone et anglophone —, nous nous retrouvons toujours à l’endroit du texte qui claque. Du beau vers ou de la punchline qui ouvre le cœur en deux !
Alors, je leur fais écouter mes slameur. euses préféré.es.

Pourrais-tu nous parler de slameurs que tu aimes ?

Abd Al Malik, Kae Tempest et Lisette Lombé en têtes de pont suivies de Ben Mazué, Gaël Faye, Luciole, Suzanne… Sans oublier les slameur. euses belges de talent que je côtoie sur les scènes : Julie Lombé, Jérémie Tholomé, Félix Radu, Slam Dog, 4D, Oxi slam, Zouz Slam, Nadjad, Prosodie Particulière, Camille Nestor, Joy Slam, Vinz Zek… (la liste exhaustive sera trop longue !)
Tout ce petit monde artistique se retrouve, pour moi, à l’endroit même du slam : la sincérité !

Qu’apporte le slam, par rapport à la poésie, ou le rap ?

Souvent mes enfants me demandent ce que j’aime dans le slam. Je leur réponds toujours : la qualité du public ! Selon moi, il n’y a pas de meilleur public que celui du slam. Les organisateur. rices se doivent de créer une « safe space » pour accueillir la parole. À partir de là, selon un cadre bordé, les encouragements, l’écoute active et le non-jugement peuvent prendre place.

Quels sont tes futurs projets ? Tes autres formes d’écriture ?

Toutes ces activités autour de la poésie m’occupent de plus en plus. J’ai récemment pris le temps de finaliser mon premier recueil de poèmes qui naîtra dans un autre monde le 10 avril 2023 aux éditions Maelstroöm Révolution. Il s’appelle « Murmurations ». Un recueil qui s’espère comme un manifeste du Nous ! Je dis « autre monde », car beaucoup de textes sont nés de mes écrits quotidiens partagés sur mon compte. Mais la narration, l’agencement et le support papier feront, j’en suis certaine, redécouvrir les textes.
Comme je ne me résous pas à ne pas accompagner la lecture de ce recueil d’un peu de ma voix, j’ai enregistré 7 textes accessibles par QR code. Cette expérience mixte est plus proche de qui je suis et permettra, je l’espère, de voyager dans cette murmuration (existe-t-il plus joli mot !)

Écrire ce recueil pendant toute l’année 2022 s’est couplé à de nombreuses lectures contemporaines :
Estelle Fenzy, Albane Gellé, Mélanie Leblanc, Cécile Coulon, Lisette Lombé, Catherine Barsics, Myriam Oh, Antoine Wauters, Ada Mondès, Laura Vazquez… et autant d’autres dans ce monde que j’adore de l’Instapoésie !

Mes derniers coups de cœur :


Ouf, de Laurence Vielle
Amour Noir, Aurélien Dony
Toute l’œuvre d’Antoine Wauters et en particulier « Mahmoud ou la montée des eaux »
Des Falaises et Labyrinthe des jours, de Mélanie Leblanc
L’air Libre, d’Albane Gellé
Amoureuse, d’Estelle Fenzy
Le Grand Nord, de Jérémie Tholomé
Calendrier de l’Avent, Myriam Oh
Disparue, de Catherine Barsics


Quel est le livre de ton enfance ou de ton adolescence que tu retiens, que tu voudrais conseiller à de jeunes lecteurs ?


Toutes ces lectures m’ont reconnectée à celui qui m’a donné le goût de lire au lycée : Daniel Pennac avec sa saga Malaussène !

Je vous encourage tous.tes vivement à découvrir les scènes slam autour de chez vous ! Je crois que ce sont des lieux merveilleux pour écouter autrement de la poésie ! 

Si le slam était un animal, quel serait-il, et pourquoi ?

Alors, ce serait pour chacun son animal Totem. J’ai sincèrement envie de croire que l’on se transcende à oser écrire, à oser dire, à oser déclamer un peu plus qui l’on est ! 

Si tu étais un objet, quel serait-il ?

Ce serait assurément un micro ! Même s’il n’est pas obligatoire dans l’art de la déclamation. Mais il est le symbole de la voix portée !

Quels seraient les conseils que tu pourrais donner à des slameurs en herbe ?

Un conseil pour l’écriture : écrire en mettant très vite « en bouche » ses mots ! C’est très important de rapidement entendre ce que l’on a écrit ! Cela permet très souvent de mieux corriger ou affiner le texte ! 

Deux conseils pour la déclamation : 1. Faire confiance au public 2. S’ancrer dans le sol, respirer et se lancer !

Des liens vers des auteurs ou des sites ? 

Podcast de « Mange tes mots »/podcast de « Poète public » (by Slameke)  

Peut-on t’écouter slamer ?

Dans l’épisode 19 de Mange tes mots  //sur mon compte IG dans les Réels

Podcast de Laura Schlichter

Merci à l’artiste pour toutes ces réponses !

Vous pouvez suivre Laura sur Instagram @laura_dans_lair

Finissons avec quelques mots de Laura :

Dès l’aurore que je hisse
Du bout des ailes
Au peigne fin
Je tisse
L’air

Conclusion

On l’a bien compris, le slam c’est plus qu’une écriture créative, plus que poétique, puisque cet art engage le corps, la voix, le public, la société. J’espère que Laura vous aura convaincu d’essayer, et si ce n’est pas le cas, mes chers passagers, vous aurez au moins découvert une pétillante slameuse, une poésie inspirante, un chemin à suivre.

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7 thoughts on “Le slam, plus que poétique”

  1. Poésie théâtralisée serait elle une définition appropriée du slam? Je suis allée écouter quelques références citées Jérémie Tholomé, Lisette Lombé, Laura dans l’Air … de belles découvertes, merci. Cela donne envie de mettre une scène libre cette été, voyons comment préparer tout ça.

    1. Ah oui, ça serait une belle initiative ! Poésie théâtralisé, théâtre poétique, rap de luxe… on peut certainement définir le slam de multiples façons, mais une fois le concept compris, le mot slam suffit à lui-même, c’est un art à part entière.

  2. Merci pour cet article, ça m’a fait repensé au film Slam avec Saul Williams qui m’avait énormément marqué à l’époque, surtout la scène centrale dans laquelle il fait arriver son slam sans qu’on s’en rende compte et nous emporte avec lui dans sa poésie et nous fait complètement oublier l’univers carcéral dans lequel il se trouve. C’est avec ce film que j’ai découvert le slam et un super artiste.

          1. Merci beaucoup pour ces liens. On dirait que les slameurs sont en transe, c’est beau à voir. Je vais essayer de me procurer le film, je suis sûre que je vais beaucoup aimer.

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