Pourquoi lire de la poésie ?

Pourquoi lire de la poésie ?

Oui, pourquoi lire de la poésie ? Qu’est-ce que la poésie, pour vous ? Un souvenir acéré des quelques années passées sur les bancs de l’école à écouter un professeur vous parler de gens trop morts, trop vieux, trop classiques, trop difficiles à comprendre ? Ce genre perdure dans le temps, se transforme, va et vient, en flux et reflux, jamais ne meure. La poésie serait même en plein essor (+17 % en 2024), ce qui est souvent le cas dans une société malmenée. Parce que la poésie est un écho, qu’elle va à l’essentiel, tranche, frappe, touche, bouscule, rassemble, dit, crie, chuchote aussi. Alors, allez-vous lire de la poésie ?

Pourquoi lire de la poésie ? Une pause intérieure.
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I. La poésie : une expérience sensible qui aiguise le regard

Lire de la poésie change notre regard. Une expérience sensible.
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Lire de la poésie, c’est se mettre en contact avec les mots par un chemin détourné, se mettre en contact avec les autres, sans s’en rendre compte. Quand un roman privilégie une intrigue, la poésie fait sentir. Mais elle se glisse volontiers à l’intérieur d’un roman ou d’une nouvelle, d’une chanson ou d’un conte. Elle est liquide, elle s’immisce partout. Elle joue sur le rythme, les images, les silences, les sons, le décalage, la surprise : elle fait mouche, touche, en direct, sans que nous sachions toujours pourquoi. Et cela en quelques mots, quelques lignes. Un avantage, pour les gens pressés. Ou qui n’aiment pas lire.

Faire une pause

Dans un monde, d’ailleurs, qui privilégie la vitesse, le mouvement, saturé d’informations rapides, quelques vers peuvent créer une brèche, un passage, une pause intérieure, un moment à soi hors de toute pression sociale. La poésie est votre ralentisseur, la touche pause, le doigt levé, votre issue de secours. Elle permet la suspension, la respiration. Dans ce moment de rencontre avec la phrase du poète, on se recentre sur l’essentiel, on tape direct dans l’émotion. Bingo ! Les émotions ont besoin d’être réactivées, dans nos sociétés où tout est fait pour nous anesthésier. La poésie est un peu le café qui réveille le dormeur.

Dans sa manière de dire le monde, insolite ou singulière, parfois simplement, la poésie permet aussi de réapprendre à regarder, à changer d’angle, à ouvrir son esprit. Les poètes prennent le monde de plein fouet, ils jouent les filtres et restituent les résidus coincés dans les mailles. Ils nomment l’invisible, l’indicible, l’indiscernable : un geste retenu, un souffle court, une hésitation dévastatrice, la lumière à peine éclose. Lire de la poésie, c’est aiguiser son regard sur le monde. Elle révèle l’éclat du quotidien, les non-sens qui traversent les civilisations, le singulier comme l’intemporel, avec de la chair, de l’esprit et des mots.


II. Lire de la poésie pour penser autrement

Lire de la poésie développe une forme de pensée plus souple.
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La poésie, parce qu’elle aiguise le regard, parce qu’elle multiplie les manières de dire et ressentir, développe une forme de pensée souple : elle suggère, laissant la porte ouverte à de multiples compréhensions.

Elle ouvre des chemins plutôt qu’elle n’enferme dans une interprétation.

Selon les époques, elle se faufile, encore une fois, coule des monuments cossus pour s’infiltrer entre le caniveau et les trottoirs, comme de la mauvaise herbe pousse là où on ne l’attend pas, dans les brèches. Et on le sait, l’herbe n’est jamais mauvaise, c’est un élitisme urbain, peut-être, qui voudrait nous faire croire cela. Intergénérationnelle, interclasse, universelle, elle aurait ce don de l’ubiquité, de transformer le lecteur en aventurier. Tu es un aventurier. Quitte la route, petit, prends les chemins de traverse, et d’un coup de baguette magique, te voilà un penseur différent, un vivant plus charnel, poussé de la forêt ou des gratte-ciels. Que tu sois enfant, adolescent, adulte, en lisant de la poésie, tu apprendras à accueillir l’ambiguïté, à apprivoiser l’inconnu.

Création d’un espace

En quelques vers, tu crées un espace. Voilà, tu peux te reconnecter à tes émotions sans pression. Le langage universel est dans cet espace, communauté sensible, où les poètes parlent de toi, de nous, de nos doutes, de nos peurs, désirs, joies, manques, espoirs et désespoirs… Tu vas découvrir la puissance du langage. En entrant dans cet espace, tu peux cueillir les mots sur les expériences humaines qui te parlent le plus, saisir les nuances, les détails, les sentiments, les moments ; le dire, le cri.

De plus, Lire un poème, c’est parfois avoir la sensation que quelqu’un, quelque part, a su formuler ce que nous n’avions pas su penser ou concevoir de manière claire. La poésie est un éclair. La touche de lait dans le café. Le sucre ou le sel. Le révélateur, le carburant de notre pensée.

Écrire de la poésie

Enfin, la poésie stimule notre créativité. Elle est une manière d’entrer en écriture, ce refuge où l’on peut oser être et créer, avec rien, un stylo, une feuille. Voire un téléphone. Partout, facilement, sans préparation, aucun matériel compliqué. Quelques mots suffisent pour ouvrir les vannes à votre imaginaire immense. Quelques mots pour une infinité de « dire ». On peut s’inspirer de poètes trop vieux ou trop morts, ou de poètes contemporains. Lire pour comprendre, saisir la mécanique de la poésie. Et puis se mettre à écrire, dessiner, photographier, réfléchir différemment pour éviter les clichés. L’éternel recommencement d’un monde qui a du mal à progresser.


III. Par où commencer ? Poètes contemporains à découvrir

Pourquoi lire de la poésie ? Découvrir des poètes contemporains, comme Rupi Kaur.
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Contrairement aux idées reçues, la poésie n’appartient pas qu’au passé. Elle vit bien, merci pour elle. Elle évolue, se réinvente sans cesse. Les réseaux sociaux l’ont propagée auprès d’un public plus large, plus indépendant. La communauté des instapoètes sur Instagram est un bel exemple. Peut-on parler de poésie numérique ? Oui, certainement. Cette poésie est instantanée, à large portée, ouvre les portes à la démocratisation culturelle.

Le poète entre en contact direct avec les lecteurs, peut se confronter à sa violence, son adhésion, ses encouragements. Parfois, sa voix en accès immédiat peut s’avérer imparfaite, mais en poésie est-on en quête de perfection ? La contrainte d’espace et de temps imposée par les réseaux sociaux formate la poésie moderne. Ainsi, elle devient plus brève, mais aussi multiforme, associant le visuel et le sonore. Une question pourtant ne doit pas être évacuée, celle de la protection des droits d’auteur ; de même l’appartenance des réseaux sociaux à des oligarques de plus en plus fascistes. Cela peut freiner, modifier, une fois encore, l’émergence créative d’une société.

Que conseiller à de jeunes amateurs de poésie

Pour les adolescents, la rencontre avec la poésie passe souvent par des formes plus orales ou hybrides. Ils adhèrent particulièrement à des poètes comme :

  • Kae Tempest : écrivain. e et musicien.ne anglais. e (slam)
  • Rupi Kaur peut symboliser la réussite par les réseaux sociaux. Cette jeune femme a conquis un large public avec une poésie assez simple, mais efficace. Sa présence remarquée sur les réseaux lui a permis d’être publiée. Est-ce que le passage en maison d’édition adoube le poète, apporte de la légitimité ? Peut-être.
  • Yrsa Daley-Ward : poésie très accessible, par la forme et parce qu’en ligne.
  • Laura Vasquez : auteure aux multiples prix, notamment le prix Goncourt de la poésie en 2023. Il est très intéressant de l’écouter. Son phrasé est très personnel.
  • Gaël Faye : textes poétiques entre musique et littérature (découvert avec son livre Petit pays).
  • Hélène Dorion, dont l’œuvre Mes forêts a été inscrite au bac de français en 2021.

Autres poètes modernes et accessibles

D’autres auteurs méritent d’être découverts, et voici ma sélection :

Natyot. Par exemple son recueil (bois, putes, oiseaux) éditions Gros textes. Sa poésie singularise également ses romans, ramenant du flou entre les deux genres. Lire Le Bercail, éditions La contre allée. Son style addictif percute, dérange, ses personnages féminins ont des souffrances à peine esquissées. Ces femmes sont des mots, des rangées de mots qui disent ce qu’elles ne conçoivent pas encore.

Pourquoi lire de la poésie ? Parce qu'elle a évolué et peut toucher tous les publics.

Thomas Vinau : une mine pour les ateliers d’écriture. Les mécanismes sont souvent palpables, mais les textes ont de la portée, du quotidien, de l’enfance, de la peur, de l’humain. C’est un vrai plaisir de découvrir ses poèmes, en prose, les images, l’agencement des idées.

Loïc Demey. J’ai découvert ce poète avec Je est un accident d’amour. Une vraie culbute de la langue française. Comment en percutant la nature des mots donne-t-on de la force à un récit ? La lecture peut s’avérer fastidieuse, mais c’est tellement émouvant. Comme Natyot, le poète mélange les genres, floute les frontières, et utilise toujours le même matériau : les mots. La puissance des mots.

Marthe Ome. Une poésie tout à fait accessible, quotidienne, sculptée au détail, au décalage, comme toute poésie qui se respecte. Ici, la ponctuation disparaît, comme les majuscules chez Rupi Kaur. Parce que dans la poésie, tout fait sens, la ponctuation comme le mot, la mise à la ligne suivante à tel moment, la répétition, ou la majuscule. La poétesse crée un espace, un visuel qui rend son message plus prenant encore.

Ananda Brizzi. J’ai découvert la poétesse par la voix. L’écouter m’a redonné goût à la poésie, par sa lecture corporelle, la dimension sonore mise en relief. Son univers est de chair, de liquide, de suintement, d’écoulement. Les thèmes sont à peine perceptibles, trompeurs. On a l’impression d’un voyage dans un corps humain. Étonnant.

Natalia Soreyn. La poétesse allie visuel, son, et mouvement. En effet, elle associe la lecture poétique à la danse, au théâtre. Donner corps au texte est une expérience complète qui peut aussi éloigner du silence impactant d’une lecture. Son recueil Louve y es tu ? sera publié prochainement aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune.

Laura Schlicher. J’ai déjà fait référence à cette auteur dans un de mes articles. Sa poésie a été un vrai coup de cœur. Elle joue sur les petits détails de la vie, le sens des mots, s’engage également en faveur d’une société plus juste. Elle met en lumière ses textes par la voix, le slam, et a su trouver sa place sur les réseaux sociaux comme dans la communauté poétique belge.

Autres poètes français contemporains

  • Marie Darrieussecq
  • Fabienne Raphoz
  • Valérie Rouzeau
  • Gérard Noiret
  • Cécile Coulon
  • Gaëlle Josse

IV. Lire de la poésie engagée : des mots à l’action

Si la poésie dit le monde, elle peut le dénoncer et chercher à le bousculer. La poésie, décrite dans cet article comme un espace, donne un lieu à la voix, aux voix, notamment les voix silencieuses. Depuis toujours, les poètes utilisent cet espace et prennent position : contre l’injustice, l’oppression, les violences sociales ou politiques, voire écologique. On peut penser à Victor Hugo, mais aussi à Maya Angelou (Still I rise, par exemple), Billie Holiday (avec le célèbre Strange fruit), Cyril Dion et son ouvrage Résistances poétiques, au recueil de poésie féminine Je serai le feu, de Diglee, ou encore Cécile Coulon. Mais la liste pourrait être longue. La poésie est en engagement en soi. L’art est message, politique, social, ou intime.

Les poètes ne cherchent pas toujours à faire du beau, mais aiment que ça claque, que ça marque. Que la vérité universelle soit sonore. Les poèmes les plus engagés interrogent nos certitudes. Ils sont l’œuvre de minorités, de grands blessés, de grands sensibles et par une voix atypique cherchent à toucher le plus grand nombre. Une poésie engagée forte tonne comme un slogan. Elle peut être un murmure, une prière, une résistance intérieure. Pour le poète comme pour le lecteur.

À sa manière, la poésie engagée participe à la compréhension du monde et de son actualité. Elle va au-delà des chiffres ou des discours. Ainsi, avec quelques vers on peut agir beaucoup, toucher la part intime de l’autre, la part sensible et donc possiblement active. Parler du climat, du racisme, du genre, des frontières, de la violence, de l’injustice, etc. permet de rester éveillé. Toutes les voix existent et peuvent se faire entendre, à partir du moment où elles cherchent la justice et l’équité.

Pourquoi lire de la poésie ? Pour résister.
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Quelques poètes engagés contemporains à découvrir selon ChatGPT :

  • Kae Tempest — slam, rap, poésie : une parole sociale, collective, vibrante.
  • Warsan Shire — sur l’exil, la violence, le féminin, la guérison.
  • Ocean Vuong — identité, mémoire familiale, violences historiques.
  • Amanda Gorman — poèmes de réconciliation, d’espoir, d’appel à l’action.
  • Cécile Coulon — quand le corps, le vivant et le politique se rencontrent.
  • Jean D’Amérique — voix forte de la littérature haïtienne contemporaine, poèmes brûlants d’engagement.
  • Safia Elhillo — poétique du migrant, du déplacement, de la reconstruction de soi.

Actuellement, aux États-Unis, des livres sont interdits dans des bibliothèques scolaires. Notamment des poètes, comme Rupi Kaur ou Maya Angelou. Cela veut bien dire que la poésie a un impact. Elle est vue comme dangereuse, elle a donc une portée, une action. Lire est un geste politique, un engagement possible.
Le poète, sans crier, sans arme, parvient à toucher. Un homme touché est un homme sensibilisé, prêt à modifier son regard et son action sur le monde.


Conclusion

Pourquoi lire de la poésie ? Pour trouver cet espace, ce lieu où l’on peut se poser, réfléchir, comprendre, rêver et espérer. Lire en soi est une ouverture, poésie ou pas. Cela permet d’accéder à plus que soi, à l’autre, à l’inconnu, à l’émotion. La poésie est accessible dès l’enfance. Le poète peut écrire à tout âge. Chaque poème a son public, son lecteur qui pourra être touché. Comme elle chante, elle se retient. La poésie est une chanson, même si elle n’a pas de rimes, et comme une chanson elle peut nous faire vibrer, nous alerter, nous garder en éveil.

En ces temps troublés, nous avons besoin de cet espace. Pourquoi lire de la poésie ? Pour ressentir et résister.


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