Le personnage principal d’un roman est celui qui porte l’histoire. C’est par lui que nous pouvons entrer dans l’intrigue. Il est important de le soigner, d’y faire attention, de le rendre crédible et vivant. Il en va de même pour tous les personnages de nos créations. Chacun va donner une réalité à la lecture. Alors comment faire ?
La méthode pour construire un personnage.
On conseille souvent de réaliser une fiche personnage, pour bien déterminer la personnalité de notre héros et de ceux qui apparaissent dans le récit. Nom, prénom, âge, statut, points forts, points faibles, ce qu’il va devoir surmonter, etc.
En ce qui me concerne, je peux en rédiger une très brièvement. Je la complète au fur et à mesure si je ne veux rien oublier. Mais j’aurais tendance à laisser grandir mes héros avec mon roman (je reste et demeure un écrivain vagabond). J’ai une idée du héros plutôt succincte au départ, mais cette idée va évoluer au fur et à mesure de mon avancée. Elle va s’affiner. Certains détails vont enrichir son caractère, le rendre plus complexe. Le personnage se libère de mes attentes, il me surprend. Il peut ainsi surprendre également le lecteur.
L’auteur Joël Dicker fonctionne à peu près de la même manière. Cependant, il préfère fournir peu de détails, afin que le lecteur construise sa propre image. C’est un parti pris que je ne partage pas. L’absence de précisions dans ses romans me manque. En tant qu’écrivain, je cherche justement ce qui différencie mon personnage, je veux le donner à voir. Le rendre présent par une odeur, des gestes, un regard. Il ne sera pas beau ou intelligent, il aura une grande taille, le cou un peu long, des cheveux épais et un regard charbon. Il sera aux aguets, prenant note des habitudes de chacun, relevant la faute dont il se servira un jour.
Faire évoluer son personnage.
Dans une intrigue, on nous conseille de faire évoluer notre personnage. Il doit changer, entre le début et la fin en s’appuyant sur ses points forts, en dépassant ses faiblesses, et atteindre un objectif. Je ne sais pas si c’est vrai dans toutes les fictions. Est-ce que Hercule Poirot et Miss Marple changent dans chaque roman ? À part la résolution de l’enquête, donc la réussite de leur projet, de leur mission, on ne peut pas dire que leurs caractères aient évolué. Seule la situation a progressé.
Ces conseils permettent d’améliorer votre histoire. Elle répondra aux attentes du public le plus large. Cependant, vous pouvez essayer plusieurs schémas. Le thème du roman pourrait être justement l’impossibilité de changer. Le héros n’évoluerait pas, le récit pourrait s’arrêter comme il a commencé.
Mais mieux vaut s’inscrire dans le mouvement pour toucher le plus de lecteurs potentiels. Quelque chose doit se passer. Si ce n’est pas dans l’action, ce doit être dans la langue. Et la langue doit être sacrément belle pour compenser une absence d’intrigue.
Pour nous aider à entamer cette mutation, il est important de se poser des questions : et si… qu’est-ce que, comment, pourquoi, etc. C’est aussi un conseil de Joël Dicker. Ses romans ont assez de succès pour l’écouter.
La question réveille le sens et donc l’intérêt. Elle soulève des idées, des pistes, va mettre en mouvement votre héros et lui donner corps.
De la justesse.
Quoi qu’il en soit, les personnages doivent être crédibles. Justes. L’auteur doit leur donner vie, les rendre vivants, actuels. Pour cela, il faut faire attention à plusieurs points :
— Inscrire les héros dans une réalité sociale, celle de l’intrigue. Une histoire d’amour aujourd’hui ne se développera pas comme une histoire d’amour au siècle dernier. Les relations entre les parents et les enfants ont changé. Les riches d’aujourd’hui ne recherchent pas les mêmes activités que les riches du XIXe siècle.
— Le langage utilisé doit sonner juste. Notamment dans les dialogues. Ceux-ci sont assez difficiles à mettre en place. Ils sont liés là encore à la réalité culturelle de l’époque, mais aussi à une communication orale, bien différente d’une communication écrite, surtout de nos jours, où le langage familier l’emporte sur un langage soutenu.
— Attention à l’âge des personnages, toujours en lien avec le contexte.
— Attention à leurs actions. Celles-ci doivent être décrites de manière simple, mais surtout elles doivent être fluides, possibles, compréhensibles.
Exemple : Il venait de s’accroupir et se retourna brusquement pour courir en vitesse jusqu’à la salle de bain, et prit tout à coup le peigne, en se baissant, le pied coincé dans la porte. Il se rua dans le couloir.
Hein ?! Retourna, brusquement, en vitesse, se rua… trop de répétitions inutiles et de mouvements qu’on a du mal à saisir. S’accroupir et se retourner pour courir ensuite paraît complexe. Arrivez-vous à l’imaginer ? Non, hein ?
— Attention à trop de perfection, cela ne passe jamais bien. Les êtres parfaits n’existent pas. On aime les creux, les failles, les bosses. On peut aller jusqu’à inventer aussi un personnage antipathique, bien que ce ne soit pas le plus apprécié.
Je rédigerai prochainement un article sur les personnages antipathiques.
À vous de vous entraîner pour observer et noter les différentes expressions, gestes, postures, enregistrer la vie pour la retranscrire (relire les 3 sources d’inspiration). Sortir ses antennes culturelles, comme le dit si bien Robert McKee, auteur de Écrire un scénario pour le cinéma et la télévision (Armand Colin, 2017). Un livre que je conseille pour qui veut écrire, scénario ou roman (encore un article à venir, les livres qui peuvent vous aider).
Écouter son roman.
Il est essentiel d’entendre son roman. Entendre les voix, la voix qui le porte. Imaginer les personnages qui évoluent et existent pour un temps dans votre tête. Cette lecture à voix haute sera aussi très importante lors de la relecture, de la correction, afin d’entendre ce qui cloche. Et dans ce cas, ne pas hésiter à effacer et recommencer. Si nous le percevons, le lecteur le percevra plus encore.
Il sera difficile d’avoir du recul sur le résultat final. Un partenaire de travail sera le bienvenu. Mais attention aux conflits d’intérêts ou au contraire à l’absence d’objectivité.
Vous êtes prêt à imaginer un personnage inoubliable ? Exercice d’écriture parfait : créez-le.
Pour vous récompenser de votre lecture, voici un extrait du roman entamé pour le défi littéraire (il sera corrigé ultérieurement, vous pouvez trouver quelques bavures).
Des auteurs et personnages que j’aime.
J’apprécie certains auteurs qui ont l’art de créer des personnages imparfaits et attachants. Ces héros sont décalés, hors norme, handicapés, profondément humains.
Susin Nielsen, une auteure canadienne. Ses personnages sont atypiques, haut potentiels, blessés, harcelés, en colère… mais toujours avec humour. Ambrose l’amateur de scrabble, Pétula et ses nombreuses phobies, Stewart, le geek… découvrez cet univers sensible, drôle, adolescent… C’est la vie, en mieux.
Emilie Chazerand, éditée chez Sarbacane. Vania atteinte d’un ptosis, Annie qui a un chromosome en plus, les Tannenbaum qui sont petits… Encore avec humour, ce qui semble un handicap dans la vraie vie devient une véritable richesse dans la fiction.
Clémentine Beauvais, que je n’arrête pas de citer. Son inégalable Les petites reines devrait être lu de toute urgence !
Des auteurs qui font aimer les gens. Alors certes, ces auteurs sont catégorisés ados. Mais comme je n’aime pas trop cette catégorisation, je les conseille à tous les adeptes de la belle littérature (bien écrite, drôle, humaine). Et si je les cite, c’est que c’est la prétendue faiblesse du personnage qui crée l’intrigue.
En ce qui concerne d’autres genres, comme le fantastique, on y trouvera aussi des personnages fragiles ou bancals. Harry Potter est orphelin, dans un monde où il n’a pas sa place. Charlie, dans Des fleurs pour Algernon est handicapé mental. Sherlock Holmes et héroïnomane (et autiste ?)… Bref, cherchez bien, nos héros préférés ont tous une faiblesse.
La rencontre de mes personnages principaux, Esther Dupin et Alex Ravania.
Ravania se retourne. D’ici, il ne voit rien, hormis le portail un peu haut et les branchages des arbres qui dissimulent la maison des Jules. Dans la rue, les lumières bleues et rouges s’indignent et commentent le drame, attirant des voisins qui habituellement ne se parlent peut-être même pas.
— Oui, la véranda… Peut-être qu’Esther a aperçu quelque chose. C’est probable…
Ravania observe Mme Dupin, agitée, à tordre son collier dans tous les sens. Pourquoi semble-t-elle réticente à fournir des renseignements ? Pourquoi rechigne-t-elle à l’aider ? Il voit le moment où il doit insister, mais elle ouvre son portillon et l’invite à rentrer. L’allée est courte, deux mètres, peut-être. Le lieutenant suit la voisine dans la maison alors qu’une pluie fine se mêle au soir grisonnant.
À l’intérieur, un homme bedonnant, sourcils froncés, se tient debout, les bras croisés devant la table dressée, mais désertée. Il répond par un hochement de tête au bonsoir de Ravania, le regard au-dessus des ses lunettes de presbyte.
— Mon mari. Vous voulez juste voir Esther, ou jeter un œil à la véranda ?
— Les deux.
— Bien, suivez-moi.
Dans l’escalier, Alex espère obtenir plus de données, parce que pour l’instant les informations sont aussi grises que cette heure du mois d’avril. La rue est dénuée de caméra de surveillance, il n’a trouvé aucun témoin, et le seul élément tangible, à part le cadavre, c’est l’appel de Sarah Jules.
Arrivé en haut, le lieutenant découvre la bulle de verre, cette grande baie vitrée qui accueille les lumières des gyrophares fractionnées par les gouttes de pluie sur le carreau. Des coussins et un large fauteuil sont disposés face à la fenêtre, entre une bibliothèque à gauche et un clic-clac à droite. Trois portes décorent le couloir. Sur les murs, des posters de superhéros, dans un coin, du matériel de base-ball et de tennis, puis une panière à linge.
Mme Dupin tape à la porte en face de l’escalier.
— Esther, sors de là ! Un inspecteur veut de te parler !
— Lieutenant.
— Dépêche-toi, Esther ! Asseyez-vous, si vous le souhaitez. Ma fille est du genre maussade, vous risquez d’avoir du mal à en tirer quelque chose !
Alex ne se fait pas prier. Il se dirige aussitôt vers la vitre et constate en effet que la vue plonge parfaitement dans le jardin des Jules. Bien en face du garage. Ce garage où l’on a trouvé Franck Jules, ce soir, tué par une arme de type gourdin, alors qu’il sortait une mallette de sa voiture. Il est mort ! Il est mort ! Cette phrase de son épouse lui vrille encore les oreilles. La porte de la chambre s’ouvre enfin et une large silhouette apparaît.
La mère, gênée, devient plus bavarde.
— Esther aime bien regarder de ce point de vue, et surtout elle adore lire, hein ? Esther ? Hein, que tu lis souvent ici ? Et cet après-midi ? Tu étais là, Esther ? Ce soir, peut-être ? Vers quelle heure, inspecteur ?
— Lieutenant Alex Ravania. Mademoiselle, bonsoir. Vous allez peut-être pouvoir m’aider.
Esther s’approche de lui, lourde, obèse, les cheveux teintés, presque blancs, et l’homme ne sait si la repousse brune déjà visible est entretenue exprès ou si c’est de la négligence. Ce qui pourrait bien être le cas, s’il juge le tee-shirt informe. D’ailleurs, il se demande où une personne de cette taille peut bien acheter ses vêtements. Le pantalon trop serré laisse échapper des morceaux de chair par des trous sans doute à la mode. L’adolescente s’arrête, se tait, attend, intimidée ou blasée.
— Asseyez-vous, propose Alex, en montrant le fauteuil, dans un premier temps et, le considérant trop petit, se ravise, pour tendre le bras vers le Clic-clac. C’est probablement la place habituelle de la jeune fille, à voir comme elle s’y pose, bien au centre.
La mère reste debout, mal à l’aise. Lui-même est mal à l’aise. Esther ne sourit pas, n’affiche aucune émotion.
— Quel âge avez-vous ? Mademoiselle ?
— 18 ans.
Elle a la voix rauque, presque enrouée. Il remarque un collier de chien autour de son cou et se dit, notant sa propre méchanceté, que c’est peut-être tout ce qu’elle a trouvé à sa taille.
— Avez-vous lu ici, cet après-midi ?
— Oui.
— Vous avez vu quelque chose ?
— Non.
— Votre voisin, monsieur Jules est rentré ce soir, vers 17 h 30. Et il a été tué par un coup sur la tête. Vous n’étiez pas à cette place, aux environs de 17 h 30 ?
Esther réfléchit. Ses yeux se lèvent vers le plafond lambrissé de blanc. Peut-être y cherche-t-elle un souvenir éclaté par là.
— Merde, fait-elle. C’était l’heure du goûter ! Fait chier ! C’était le seul moment intéressant de la journée et je suis partie goûter !
Alex se demande si elle se fout de lui. Il faut bien l’avouer, elle a la tête de celle qui emmerde tout le monde. Possiblement, cette histoire de goûter, c’est du flanc. Possiblement, aussi, vu son poids, l’anecdote tient.
Il note l’absence d’empathie. Esther ne semble pas s’émouvoir du sort du voisin.
— Vous connaissiez monsieur Jules ?
— Bien sûr, c’est mon voisin !
— Je veux dire… vous lui parliez, vous aviez des relations, des discussions…
— Non. Il ne m’a presque jamais adressé la parole.
— Vous habitez dans cette rue depuis longtemps ?
— Depuis que j’ai trois ans.
Alex se tourne vers la mère, afin qu’elle confirme.
— C’est vrai qu’il n’était pas très causant, du moins il n’était pas souvent présent. Mais il était très aimable. C’est juste Esther qui fait sa sauvage. C’est toi, ma chérie, qui n’engages pas à la conversation.
— Et ben, il ne me parlait pas, à moi, reprend Esther. Et moi je trouve que c’était un fichu connard !
— Esther ! Respecte les morts !
— Mort ou vivant, j’en ai rien à carrer.
— Vous pensez qu’il avait des ennemis, ou du moins des gens qui ne l’appréciaient pas dans le quartier ?
Esther soulève de nouveau ses yeux vers le plafond. Elle sourit presque quand elle les plonge dans ceux de Ravania.
— Peut-être Nia Gabia. Il disait lui aussi que c’était un connard. Ils se sont déjà engueulés pour des histoires de voiture.
— Vraiment ? Qui est-ce ?
— À deux maisons, vers le bout de la rue, par là.
Esther tend ton bras, secoue sa main vers la gauche, ce qui fait trembler ses chairs. L’enquêteur prend quelques notes dans son carnet. Tout cela lui paraît léger et sans importance. Il est fort possible que ce soit une petite frappe simplement de passage, prise sur le fait d’un cambriolage. Ça aurait mal tourné. L’agresseur se serait enfui.
La notification d’un message l’interrompt. Il consulte son téléphone et se réjouit à haute voix.
— Ah ! Le fils Jules vient d’arriver !
— Aussi con que son père, juge l’adolescente.
— Esther ! s’agace la mère !
— Je vais vous laisser, mesdames, dit Ravania en se relevant.
— Vous pourriez me donner une carte, propose Esther. Si jamais j’avais un souvenir, une idée… Je passe beaucoup de temps à regarder par la fenêtre. Je vois des choses. Ça pourrait me revenir.
Le lieutenant hésite. Il ne saisit pas ce qui pourrait revenir dans cet esprit visiblement malsain. De plus, il ne possède pas de carte de visite. Il demande le numéro de téléphone de la jeune fille, et lui envoie un message. On ne sait jamais. Elle paraît tordue, la petite, enfin, la gosse. Mais elle pourrait être plus fine qu’elle en a l’air !
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