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Suite à l’article sur mon adolescence poétique, je continue avec mon écriture poétique. Après tout, je ne me suis pas arrêtée à la puberté, et avec le recul je me sens autant poète que romancière. Ces derniers articles sont plutôt intimistes et, peut-être, mon cher passager, te demandes-tu quand je vais reprendre les conseils d’écriture créative. Patience, nous sommes au mois de mars, mois de la poésie. Et on le répète : les bons romans sont aussi poétiques.

Jeunesse poétique
Si l’enfance traitait d’un quotidien banal, mais perçu, donc observé avec attention, l’adolescence se penchait sur les grandes idées, la rébellion, une société déprimante. En creusant avec les mots, j’ai raclé les émotions, puisé en moi des parts sombres, l’humaine mal aimée. L’intime. De plus en plus. À utiliser les mots comme des bêches, ou des couteaux, à extirper d’une confusion existentielle l’être que j’étais ou tentais d’être. Les mots. Moi, la maladroite, la muette, l’effacée, combien je les goûtais sur les feuilles, comme si je criais, dans le silence, hélas.
L’adolescence peut s’avérer un long naufrage duquel on craint de ne pas se tirer.
Poème du recueil Trésor et misère, l’année de mes 19 ans
Coule à flots
La mer en rage se déchaîne, puis se calme.
Une ombre a sombré,
Les larmes sont trop tombées.
Je me glisse et m’enlise
Dans les profondeurs de ces ténèbres.
Coule la Flo, coule,
Coule au fond de l’eau.
Au-dessus, passe un bateau.
Pas un geste vers celui-ci.
Juste un regard trouble, un demi-mot.
Le froid saisit ce corps inerte,
À l’abandon des vagues.
Coule, coule la Flo,
Coule au fond de l’eau.
Au-dessus, passe un radeau,
Mais sa vue est floue
Et les courants sont fous.
Navires, cargos et transporteurs
Sont tous à trop haute hauteur.
Comment se pencher sur leurs bagages
Alors qu’ils ne voient pas notre visage ?
Alors, coule, coule la Flo,
Coule au fond de l’eau.
Les rames sont tombées à l’eau,
Les armes se sont rouillées.
Plus d’appel vers ce ciel lointain,
Plus de cris vers ce bleu incertain.
Que de messages sur le dos des poissons.
Des ravages sur la triste prison.
Les marais se déchaînent,
Les typhons s’engagent dans cette lutte de détresse.
Périt au fond de l’eau un petit être sans nom, sans fardeaux.
Rigolent les passants, s’attristent les sirènes
Au son lugubre des torrents.
Depuis, loin des côtes, on entend parfois
Une chanson qui dit :
Coule, coule la Flo
Coule au fond de l’eau.
Analyse
C’est l’âge de l’hypersensibilité. Nous prenons la vie de plein fouet, véritable tempête qui nous tourmente. Nous sommes nus, sans armes, broyés, noyés. Le poème semble clair. Je ressentais profondément cet effondrement, le déchaînement du monde, ce désespoir de ne pouvoir atteindre les rives, de sombrer corps et âme dans mes misères, sans jamais accéder aux trésors promis. C’est après que l’on se rend compte que oui, on en sort. Je pense que l’écriture m’a grandement aidée. Alors, mon cher passager n’hésite pas à écrire, les mots deviennent une corde à laquelle s’accrocher.

Mes 20 ans poétiques
Sortir de la tempête prend du temps. Tout n’est pas stable, que ce soit les amours, les amitiés, les activités, les choix, les envies. La souffrance de ce roulis constant, de cette impression d’être misérable, m’a tenue interminablement. J’ai toujours eu pour moi la ténacité, l’acte, le désir d’entreprendre. Alors j’ai avancé, malgré les doutes, les échecs nombreux, le décalage et la solitude.
Voici le premier poème de mon recueil Mal et diction. Je dirais que je l’ai écrit entre 20 et 25 ans. Je n’ai malheureusement pas retrouvé les dates.
Sans titre
Muette en plein soleil
Souffrant dans mon être
Je suis une infection.
Pleure ma chienne
Je viendrai t’ouvrir
T’ouvrir à toi qui n’a pas eu de chance.
Et le monde se referme.
Pleure ma chienne
Tu es seule à me vouloir
À me chercher, moi qui n’ai pas eu de vie.
Enfin, tu as gagné
Je n’ai plus de mots
Je ne sais plus décrire
Le poète va-t-il mourir ?
***
Comment vais-je le dire ?
En petites phrases,
En roman de gare,
En nouvelle ou en cuisine…
Sans parler, jamais,
Sans crier non plus,
En regardant, peut-être,
Mais sans être vue.
Avec des mots, sans doute,
Ou des objets déplacés,
Avec le corps, sûrement,
Sans jamais l’animer.
Sans plus manger,
Sans plus dormir,
En pleurant, cachée,
En maudissant, pire,
Sans rien dire,
Sans rien montrer,
En faisant comme si,
Sans faire semblant.
Et pourtant,
En voulant le dire,
Même s’il fallait souffrir,
Même s’il fallait en vivre.
J’irai jusqu’à trembler,
Mais je ne fais que tomber
Dans une tête pleine,
Pleine de déchets.
J’irai jusqu’à trouver
Ce qui rend ma voix close,
Ma voie sans issue
Et mon intérieur déçu.
Mais je ne vais rien faire,
Je ne vais rien dire,
On me pensera trop fière,
Même s’il fallait en mourir.
Analyse :
Il me semble avoir progressé beaucoup dans ce recueil. Les formules paraissent plus complexes, plus recherchées. L’effet de répétition apporte de l’intérêt au rythme, au chant que doit être la poésie. Il est beaucoup question de la voix, de la voie, du dire ou ne pas dire, comme si ne pas dire conduisait à la mort. J’ai souffert de mon mutisme. En effet, prendre la parole, s’adresser aux autres, avoir une conversation, tout cela ne m’était pas aisé. Ne pas dire c’est un peu comme ne pas vivre. Je parle donc je suis. Je me tais, je ne suis pas. Écrire, c’est exister quand même !

L’amour poétique
De mots, d’armure, avec le temps j’ai mis le nez dehors et j’ai trouvé ce sentiment dont on parle tant. J’ai rencontré le corps, l’esprit, les bras dans lesquels je pouvais me reposer. J’ai écrit ce recueil sur l’amour, Tentez si bien, après mes 25 ans. Le vent semblait avoir tourné, mais je restais sur mes gardes, toujours dans mon silence.
En voici un extrait
Impavide patience
Je suis une lente,
Implacable et soumise,
Trop souvent prudente
Avec le feu qui m’attise.
Et pourtant…
Tu me deviens indispensable
Comme la mer à la raison
Du monde et de tous mes semblables
Issus de chair et de passion.
Là, le cœur en brèche,
Les cheveux en bataille,
Corps et yeux revêches
Soudain troublés défaillent.
Et pourtant…
Dans ce volcan mort ou endormi,
Les braises rougeoient, s’envolent
En une ébullition de vie –
Et toute ma peau s’affole.
Je fais bien semblant
Où le crois trop encore,
Que mes jeux d’enfants
Sont mes seuls corridors.
Et pourtant…
Tu me manques de plus en plus fort
Comme le vide aux falaises
Surplombant les plaines, les morts,
Comme le souffle sur mes braises.
Si j’ai de la peine
C’est en ton absence
Que hélas ! je la traîne,
Clouée à ta puissance.
Et pourtant…
Tu me laisses des joies bien fragiles
Comme en suspend, toujours livides,
Trahies par mes peurs indélébiles
Que recueille ton impavide…
… Patience.
Et pourtant…
… Silence
Analyse :
Les poèmes sont devenus meilleurs, ma voix a trouvé sa voie. Mon style est là, travaillé depuis des années, à l’œuvre dans mes nouvelles, écrites à la même période. Le dialogue s’instaure, il n’est plus question de moi et les objets, moi et le monde, moi toute seule, mais bien de moi avec un autre. Mon attention se tourne vers ce point isolé, personnifié, animé et ce décentrage permanent s’avère toujours enrichissant dans l’écriture, dans l’art en général et dans la vie de toute manière. On note cependant cette peur de ne plus savoir ou pouvoir écrire. C’est comme devenir muet pour un chanteur.

La mère poétique
À trente ans, j’ai entamé le recueil Bleu. Je ne suis pas certaine de l’avoir terminé, j’ai tout simplement cessé d’écrire de la poésie, prise par tant d’autres choses, notamment les nouvelles, les romans, la famille, le métier. Il ne comporte qu’une dizaine de textes, bien en chair, denses, où il est encore question de parole, de silence, de corps.
Extrait
Ça vient d’utérus
Ça gargouille. Ça fout la nausée et parfois le bourdon.
C’est comme un virus, mais on ne saisit pas le danger.
C’est à vomir
Toute une vie au bord du gosier
Toute une vie collée à l’estomac
Une vie qui vient d’utérus. Hystérique
Ça bouge dans tous les sens. Mais ça n’a pas de sens.
C’est déjà en guerre, prêt à tout balayer
Envoyer valdinguer, ça construit son nid mouillé
Au centre du monde. Au commencement
Loin de la lumière, au cœur d’un Dieu hystérique
Ça croît en silence. Ténébreux, minuscule,
Ridicule, Fragile, immense.
Ça vous pompe l’énergie, ça puise dans vos ressources, c’est comme un microbe, mais on ne capte pas sa puissance.C’est à dormir.
Toute cette vie suspendue, au centre de la vôtre
Toute cette vie si ténue, abritée dans un corps
Une vie qui vient d’utérus
Extraordinairement terrestre.
Analyse :
Les premiers mois de grossesse chamboule l’organisme. La violence de ce qui vient, la vie qui se bat, oui, c’est aussi cela porter un enfant. Expérience inconnue que l’on traverse naïvement, parfois, comme une parenthèse dans votre histoire. Plus jamais je n’ai été deux. Plus jamais je n’ai été seule. Le temps s’est dissous. Trouver les moments pour soi est devenu très compliqué. J’ai cessé de composer des poèmes.

Reprise poétique
Le temps a passé, j’ai écrit des romans, ai publié des livres. De la poésie, jamais. Je n’ai même jamais essayé. Puis je me suis lancé dans des petits jeux, notamment sur Instagram. Je demandais à ma communauté de me donner des mots, et avec je devais écrire un poème. L’envie est revenue. J’avais bien eu l’idée de m’engager dans l’Instapoésie, quelque temps auparavant, mais à peine. Je suis éparpillée, je m’impose trop de choses à faire. Mais ça me travaille. Reprendre des recueils, tenter d’autres expériences. Mon éditrice Yasmina Behagle voudrait publier un de mes recueils, d’ailleurs, Veuve amère. C’est en cours.
Extrait
À l’heure du Potimarron
Quand nous partirons tous les deux,
Sur les chemins saturés des feuilles de l’automne,
Légèrement penchés et vieux,
Notre amour dans la même inclinaison morne,
Auras-tu, dans quel sens, le réflexe de fuite,
Ou celui de l’immobilité ?
Nous savons bien que les carottes sont cuites,
Le dîner largement entamé.
Voudras-tu continuer droit dans tes chaussures
En sautant sur le sol, tel un enfant,
À chahuter les craquements de l’usure,
La mort à tes pieds, foulée en riant ?
Je te vois, la main au-dessus de ton regard oblique,
Bravant l’éclat du soleil couchant,
Et nos éclats de pensées aux entournures cosmiques,
Tes contours décousus par le vent.
Tel un loup, contourneras-tu la proie,
Le cœur battant et moins léger ?
Ou fonceras-tu, accroché à moi,
Dans le tas, nous deux ou jamais ?
Et moi qui ne suis de l’été que l’ombre,
Viendrais-je sur ce chemin doré,
Mon corps nu, immense et sombre,
Étiré en noir vers notre passé ?
M’avancerais-je sous les arbres aux doigts écartés,
Comme des chalumeaux incandescents, sang et or,
L’amour dans son honnêteté, en soupe ou entier,
Le visage illuminé et tendu vers ce décor ?
À l’heure du Potimarron,
Loin de la féerie du crépuscule,
Auras-tu un temps de réflexion,
de pause, de doutes, ou de scrupules,
Un sursaut ou de l’effroi ?
Nous irons vers la vérité,
À la naissance du froid,
Dans le tas, nous deux ou jamais.
Analyse :
Comme elle paraît loin, cette époque du pompon, de l’adolescence rebelle ! Ici, tout dit l’automne, le temps qui a passé, l’âge des rides, où l’on se retourne pour déterminer d’où l’on vient, et où l’on va. J’aime beaucoup ce poème tout en question. C’est l’heure du bilan, de savoir ce que l’on continue, ce que l’on peut encore explorer, affronter. Le « nous deux ou jamais » du dernier vers reprend un poème que j’avais écrit des années auparavant. Cette promesse du nous deux ou jamais peut-elle être tenue dans le temps ?

Conclusion
Et voilà, mon passager, une grosse part d’intimité pour ces deux derniers articles ! Mais je voulais dire l’importance de la poésie dans ma vie, la célébrer également comme un art majeur qui exprime tellement de choses en peu de mots. Dire, encore, sortir du silence, c’est déterminant. Mon écriture poétique est au fondement de ma narration. Réelle ou imaginée. Je suis femme, poète et romancière.