Mon adolescence poétique apparaît comme un titre audacieux, peut-être prétentieux, mais aussi mystérieux. Traiter de mon parcours est une manière d’encourager les jeunes vocations. Et en mars, on se penche sur la poésie ! Aussi, je vais parler de mon parcours de poétesse. Le plaisir d’écrire est très présent dans l’enfance, il l’a en tout cas été dans la mienne. Comme le dessin, le jeu, l’apprentissage. Voici une analyse simple de ma progression, puisque le blog permet de parler de soi, tout en relation avec le monde. Tu me suis, jeune poète ?
L’enfance poétique, d’abord
Pour commencer, bien sûr, l’enfance précède l’adolescence. Les périodes demeurent floues, se chevauchent. Mais il me semble que jusqu’à 13 ans, notre part d’enfance reste encore grande. Écrire, pour moi, a rapidement été un jeu. Je lisais beaucoup, et j’ai tenté dès neuf ans de créer des romans. En vain, je l’avoue, je ne les finissais pas, du moins pas avant 13 ans. Par contre, je me souviens de ma cousine qui avait proposé un jour d’écrire des poèmes. L’idée m’a paru saugrenue, de mémoire. Mais je me suis prêtée à l’exercice avec plaisir. Et j’ai continué, plus tard, seule, testant mes capacités et mon potentiel poétique. J’ai même réalisé un premier recueil récoltant deux ans de textes. Une Framboise dans un champ. Le titre n’avait pas de sens particulier, ça me paraissait juste joli, peut-être parce qu’une framboise c’est bon, doux, rose, petit. Qu’un champ c’est vert, grand, à moitié sauvage, à moitié cultivé. Dans ce recueil, j’y ai récolté des poèmes, mais aussi des essais de textes : des scènes d’action, des scènes fantastiques, un portrait…
Voici le premier poème du recueil, je devais avoir 11 ans au moment de son écriture.
Le pompon
Rouge jaune bleu
Voilà mon pompon.
Toujours joyeux
Est mon luron.
Quand par sa ficelle
Je le prends,
Toute belle
Il me rend.
Il se balance
En arrière, en avant
Quand il se lance
Fier comme un conquérant.
Je joue avec lui
Quand je m’ennuie.
Il est amusant
Ce d’Artagnan,
Car il est tout rond
Comme un beau pompon
C’est mon meilleur ami.
Et c’est aussi le plus joli.
Et le dernier du recueil
Univers, qui es-tu ?
Après la terre,
Que fais-tu ?Infini,
Où vas-tu ?
Es-tu fini ?
T’arrêtes-tu ?
Grand espace,Tu me fais peur, tu es si vaste
Et sans heure
etc.
Analyse :
Le premier sujet n’est pas très engagé, la poésie est simplissime. D’un banal objet du quotidien, j’ai réalisé un texte avec des rimes, sans forcément respecter le compte des syllabes. Les images et les métaphores ne sont pas présentes, même si l’on note la référence à D’Artagnan, ou la personnification (fier comme un conquérant). Je suppose que c’était plus en souvenir du film que du livre.
Je n’ai pas joué avec tous les sens, ce que je ferais certainement aujourd’hui. J’évoquerais la douceur de la laine, mes doigts qui se perdent entre les poils, du contact sur ma joue. La vue est le sens le plus souvent privilégié, mais ce n’est pas celui qui nous rapproche de l’intime.
C’est un mignon petit poème d’enfant. Et je ne me souviens que de deux poèmes que j’ai écrits : celui-ci, et le second qui parle de la mort de mon cochon d’Inde. Mes animaux, mes objets, ma famille, mes ressentis ont été emprisonnés dans ces instants lyriques que j’ai rédigés. On sent vers la fin, avec le deuxième poème, que j’évolue vers des questions existentielles. Et l’art poétique aime ça, les questions existentielles !
L’adolescence poétique
Je n’ai pas retrouvé mes cahiers où j’écrivais des poèmes pendant la période de fin de collège. J’ai toujours la trace des nombreux recueils que j’ai écrits pendant le lycée, mais aucune des 13-15 ans. Je crois que j’ai surtout essayé de composer des romans. J’en ai finalisé deux. Le titre de l’un est Je m’appelle Sarah.
Au lycée, je me cherchais : quels sont les auteurs que j’aimais lire, la musique qui me convenait, le style d’habit qui m’irait… Mes goûts souriaient à la révolte. Rimbaud, Camus, les Punks, les DOC Marten’s. Mes poèmes ont changé de sujet, de forme, d’objectifs. Le champ lexical est devenu plus sombre. L’amer, l’acide, le vide, le sang, l’humanité indigne… Il m’en fallait des mots, pour accepter ce monde, ou plutôt le dénoncer, ainsi que la pauvreté, la maladie, les injustices, la solitude, les rejets, l’enfermement, les adultes, le futur. Il me fallait également accepter de quitter l’enfance pour une place qui me paraissait moins intéressante, moins sûre, moins saine. L’enfance est un sujet que j’ai abordé très tôt et qui me tient à cœur encore aujourd’hui (voir mes romans : Quand tout menace, Miss Rabat-joie…)
J’ai énormément écrit et cherché à donner de la cohérence à mes recueils. C’était clair, je voulais être écrivain, je devais tout garder, parce qu’un jour, sans doute, je serai connue.
Voici deux poèmes sur l’enfance, issus d’un recueil qui se nomme Ses mains et le sable, sans doute écrit vers 16 ou 17 ans.
L’enfant
Quand la jeunesse meurt de vieillesse
Dis-moi, enfant, comment vois-tu le monde ?
Tes yeux perchés sur l’azur, l’impénétrable bleu se confond avec l’infini de tes rêves.
Ton âme a volé des nuages pour construire des citadelles jaunes d’où se lancent des capitalistes suicidaires.
J’ai gardé le silence pour toi, pour que tu y dises des mots d’amour.
Pourquoi n’aimons-nous pas ?
— Parce que vous êtes morts sous votre haine.
Retourne à ton perchoir heureux, l’horizon, que ton regard arpente gaiement. Ne dis pas des phrases qui font mal. Nous t’apprendrons aussi à détester.
— Vous ne m’apprendrez pas à aimer.
Pour quoi faire, enfant, puisque le monde n’est que douleur ? Garde donc le silence et cognes-y tous tes mots d’amour. Contente-toi de cela, le reste étant inaccessible.
— Pour vous seuls, adultes !
Bien sûr… nous y croyons tous. Ma jeunesse contemple la tienne, sous les plis de ma mémoire. Elle t’interpelle, elle voudrait te dire ce qu’elle sait.
Sa seule expérience fut de mourir de vieillesse.
Le second :
Moi, l’enfant
Je ne sais ce qu’être grand veut dire (puisque je suis petit).
Je marche sur un sol,
Il devient parasol.
Parachuté dans votre air,
J’y pose les pieds et ma mère.
Moi, l’enfant
Je ne sais ce que réfléchir peut faire (puisque je ressens).
Je glisse dans les nuages,
Ils imaginent la vérité sage.
Libéré dans l’émotion,
Je capture les sensations.
Moi, l’enfant
Je ne sais ce que la vie nous donne (puisque je la vole).
Je prends sans demander,
Elle me laisse commander.
Prisonnier parmi vous,
Je cogne l’interdit du tout.
Moi, l’enfant
Je ne sais ce que le sérieux comprend (puisque je plaisante).
Je rigole sur vos mots,
Ils s’ouvrent, deviennent gros.
J’enlève leur sens orgueilleux
Que je réforme en héros moins vieux.
Moi, l’enfant
Je ne sais ce qu’être petit veut dire (puisque je grandis).
Je marche sur un sol,
Il devient tournesol.
Grandissant chaque jour,
J’y dresse un plan d’amour.
Analyse
Les poèmes ne sont pas fabuleux, mais on sent déjà que je joue avec la forme, les pensées, des sujets engagés. Je me suis libérée d’une norme et je cherche à frapper. Les images ou métaphores ne sont pas encore bien travaillées, ça manque de chair, c’est parfois maladroit. Malgré tout, c’est une étape, c’est le début vers une langue plus personnelle tout en traitant de thèmes plus universels.
Dans la plupart des poèmes de ce recueil, j’y parle de l’enfance, d’adolescence ; puis d’un monde à venir qui ne promet rien. Je me rappelle avoir été inspirée par la poésie de Jim Morrison, d’avoir écrit des textes poétiques, plus que de la poésie pure. D’ailleurs, le recueil commence sur un texte où un personnage, Kirham, laisse couler sa colère, et c’était clairement après avoir lu des poèmes de Morrison. Je le dis souvent : tu dois lire beaucoup, de tout, du bon, du moins bon, de tous les genres. L’apprentissage passe par cette expérience. On copie et l’on finit par trouver son chemin, sa voix, son encre, son style.
Premier texte
Suffiront, peut-être, mes derniers souvenirs. Je suis un Être, pas un délire.
Brusque survivant d’un monde en feu, je pétris la terre lorsque je n’ai rien d’autre à faire.
J’ai la haine.
Quand à six ans les femmes m’ont éloigné de leur vie, j’ai souffert d’un grand appétit : celui de revenir et de leur plaire. Aujourd’hui, ces femmes disparaissent et je suis le premier à les fouetter de la corde de ma conscience, corde avec laquelle elles m’ont traîné jusqu’à l’arbre du péché.
Je suis un arbre mort. Un toucan écrasé. Le farceur des déserts, l’oppresseur de ma mère. Les douleurs m’ont écrasé et à présent je les salis de ma bave, je les élimine et elles s’évaporent en carnage, en raison altérée.
Ils sont morts sous mes pieds lorsque j’ai marché trop vite et trop fort.
Ils hurlent dans le vent fou d’un Sahara plus que desséché.
Voilà longtemps que je n’ai pas pleuré. Mes feuilles civilisées ont disparu avec ma plume de toucan écrasé. Les paillettes des dunes suffisent à mes yeux pour réciter des phrases insolentes.
J’écris encore.
Ils disent : « Ses mains et le sable ».
Ils pensent que j’écris avec n’importe quoi. Mes mains sur le sable tracent l’histoire et mes silences d’arbre mort.
Suffiront peut-être mes derniers mots, pour exister.
Je suis un Être, pas un mirage, pas un délire.
En voici un autre écrit en fin d’adolescence
Les violons s’animent
Au travers de mes cils
En cassant les cordes
D’un geste magnanime
Mais tellement docile
Pour un tel désordre.
L’automne se heurte
Au printemps fragile
Que l’hiver rejette
Le long de ma joue bleue
Ou de mes sourcils
En bataille et en miette.
L’archet cisaille mon cou
D’une musique silencieuse
En étouffant le désert,
Les marais, la boue,
Et mon gosier à la goutte pieuse
Ne laisse plus entrer l’air.
Conclusion
Voilà, j’ai partagé avec toi, cher passager, mon adolescence poétique, l’évolution évidente entre ce qui traverse l’enfance et ce qui tenaille l’adolescence. Je pourrais continuer, raconter les autres recueils, ceux de l’âge adulte, mais on s’en doute, la poésie a encore progressé. C’est à toi maintenant de produire des textes, des poèmes, de créer des recueils, d’essayer de construire quelque chose, ton œuvre. La vie mérite d’être regardée autrement, avec des filtres et attention. En ensuite ? On la dit en mieux, en poésie.