Comment travaillent les auteurs : Yasmina Behagle. Je vous présente une autrice pour cette troisième partie, multicasquette, pleine d’ambition et de talent. Elle fait partie de ces trois auteurs autoédités à découvrir. Cette littéraire écrit, chronique, analyse, débat, réalise des vidéos sur YouTube souvent cinglantes et fouillées. Entre engagement social et perfectionnisme littéraire, elle vient de créer une œuvre atypique et un magazine littéraire. Jamais à court d’idées, il se pourrait bien qu’elle entre un jour dans la cour des grands. Vous la suivez ?
Un rituel d’écriture ?
J’écris depuis mes 27 ans, donc 4 ans maintenant. Je n’ai pas vraiment de routine, dans le sens où j’ai pas de rituel, et que je peux passer des semaines sans écrire. Mais en général, quand je suis dans un projet, j’essaie d’écrire minimum 1000 mots par jour. Depuis mon troisième roman, j’ai découvert que de grosses sessions de 4000 (toute la journée à écrire, en fait) m’aidaient à trouver quelque chose qu’il manquait, une sincérité, une urgence. Maintenant, je ne pourrais pas dire que j’ai une routine, mon dernier, j’ai mis un an à l’écrire, en passant les premiers mois par des petites becquées (je dirais 30 % du livre), puis terminant les 70 % restant en un mois.
Des conditions de travail ?
Je me rends compte que j’ai de la chance, de pouvoir faire ainsi, tout le monde n’a pas l’occasion d’écrire toute la journée. Mais quitte à essayer de vivre de sa plume (puisque je n’ai pas d’autres activités, hormis l’édition et la chronique… bon, ce qui fait beaucoup en temps de travail), autant le faire de manière obsessionnelle (enfin, c’est ce que je me dis, ce n’est pas quelque chose que je recommande).
Les difficultés, ou les facilités, comme dans tout travail, ce sont les conditions matérielles. J’arrive plus facilement à écrire si je n’ai pas des problèmes prosaïques, comme les frais bancaires ou les difficultés à payer le loyer^^. Ou un enfant qui vient sauter sur mon lit au moment où j’écris. Mais en même temps, ce quotidien, ce réel, irrigue aussi totalement mon « œuvre ».
Une méthode ?
Comme méthode, c’est difficile : chaque livre une méthode, et pas de règles inaltérables. En général, oui, je commence par un plan. Mais souvent, c’est seulement quelques phrases griffonnées. Puis j’ai souvent dit qu’il fallait juste le début et la fin de son roman pour se lancer, or mon dernier, qui est le plus réussi selon moi, je ne savais pas du tout où j’allais. En fait, l’écriture, ou tout apprentissage, c’est un peu comme ce que dit Socrate : plus j’apprends, plus je sais que je ne sais rien. (sauf peut-être pour le marketing ou d’autres « sciences » bourrées de certitudes)
Une progression ?
Les progressions sont dures à discerner, en fait, c’est simple, je renie tout livre que j’ai écrit à un moment donné. Le dernier me paraît être le seul où je suis arrivée à faire « quelque chose », mais j’ai l’intuition que dans deux ou trois mois, ou deux ou trois ans, je dirai : il est bof, (par contre celui que je suis en train d’écrire…). La véritable progression, ce sera quand je serais éditée. Le souci, c’est que de nombreuses raisons extralittéraires empêchent un texte de l’être. Je suis donc face à une injonction un peu bête et méchante que je m’impose à moi-même. Mais n’est-ce pas le cas de nombre d’entre nous ?
La motivation ?
Le plaisir, tout simplement. (j’ai la chanson d’Herbert Léonard dans la tête maintenant). J’ai commencé un livre, et ça a été difficile, et ça va sûrement l’être à de nombreuses reprises au cours de la rédaction. Mais la peur ou l’angoisse n’existent que dans les blancs, les moments hors écriture. Lorsque j’écris, le temps s’arrête (ou passe très vite), et je suis en transe. C’est de l’hypnose, y a quelque chose de sacré dans l’écriture. C’est pour ça que j’écris. Pour le plaisir. (Herbert, ta gueule).
Je n’ai aucune idée de ce qui me pousse à écrire, je crois que c’est un facteur de plusieurs choses, mais il n’y a pas une raison spécifique. Après, pour ce qui est des thèmes, la famille, le couple, le lien entre les gens en général.
Je ne saurais définir mon genre, c’est aux lecteurs de le dire. Je sais que j’aime la digression, la subtilité…
Youtubeuse ?
Mon métier de YouTubeuse (je préfère le terme de critique^^) m’aide dans le sens où je lis beaucoup, et que pour pouvoir bien analyser une œuvre, je la passe au scalpel. Je n’ai pas vraiment de méthode pour cela, je prends quelques notes pendant mes lectures, puis j’essaie surtout de déplier des « ressentis », de mettre des mots à peu près objectifs (même si on ne l’est jamais à 100 pour 100 !) sur ma subjectivité. Et je pense que ça m’a aidé à améliorer mon propre style. On me dit parfois qu’on me plaint de « m’infliger » des lectures médiocres ou carrément mauvaises, mais je crois sincèrement qu’il faut lire aussi de mauvais livres. Ça permet de voir ce qu’on ne veut pas, de préciser sa pensée, sa propre sensibilité.
Je pense que c’est quelque chose d’important à faire, quand on écrit. C’est facile, parfois, quand on est autoédité (et donc un peu « outsider » des lettres), de se dire que c’est parce que c’est un milieu de « tous pourris », qui fonctionne par népotisme, relations, réseautage. C’est aussi le cas. Mais un très bon livre saura toujours nous clouer le bec, et nous rappeler ce qu’on veut vraiment — trouver une unicité, un regard nouveau sur le monde. Je croyais que ça passait par des phrases alambiquées ou l’utilisation de mots recherchés. C’est faux, « trouver sa voix », c’est seulement écrire de manière sobre, mais juste. Parler de notre obsession des modèles réduits ou de la discographie de Shakira de 2002 à 2010, même si on croit que ça n’intéresse personne.
L’autofiction, un moteur ?
Après, dire que l’autofiction est un moteur, pas vraiment, ça ne l’a pas toujours été, ça ne le sera pas toujours. Je sens qu’en ce moment, ça m’habite, mais je crois que c’est tout simplement parce que les textes qui parlent le plus frontalement de choses que je connais sont encore une fois les plus justes. C’est vrai qu’il m’arrive d’avoir peur de ne plus réussir à faire de la fiction, ou que je me laisse aller à une certaine facilité en faisant ça – mais j’écris mes « autofictions » comme des romans, je traite l’entourage comme des personnages, je ne vois pas beaucoup de différence dans la création (à part le plan, mais généralement, le plan, c’est pas ce qui me prend le plus de temps à faire, c’est l’histoire de deux trois jours).
Chini chini, le magazine littéraire
Le magazine littéraire, c’est une lubie que j’ai eue cet été, j’en ai souvent, celle-ci est aussi aboutie que mon dernier bouquin (une lubie aussi – par lubie j’entends idée soudaine et un peu fantasque^^). Je voulais un médium plus « sérieux » de la réflexion littéraire qui mature en moi depuis des années. Ce premier numéro met l’accent plutôt sur les métiers du livre, et tous les canaux de promotion qui existent. Je crois que l’idée de donner un coup de pied dans la fourmilière me séduisait, même si je sais que c’est en partie mégalo et irréaliste de croire que cela puisse avoir la moindre influence sur le rapport des lecteurs aux émissions comme La Grande Librairie ou autres. Quoiqu’il en soit, ça m’a fait plaisir, bien que c’était crevant aussi. Je pense que le résultat est satisfaisant, aux lecteurs de confirmer.
https://chinichinilemagzinelitteraire.com
Bibliographie
- Fièvre de lait, 2020
- Dans la gueule du loup, nouvelle, 2021
- Chardon chéri, 2021
- Leur mère à toutes (1), 2021
- Au nom de la mère (2), 2022
Pour conclure
Yasmina Behagle possède une voie, une écriture singulière et envoutante, une capacité à décortiquer les différents écrits qui permettra aux lecteurs et aux écrivains d’affiner leur préhension de l’art littéraire. Je vous conseille de découvrir cette jeune auteure qui pour moi a un grand avenir dans la littérature.