L’incipit : comment commencer un roman ?

Définition de l’incipit

L’origine de ce mot invariable est latine : incipere, c’est-à-dire, commencer, à la troisième personne du singulier. La prononciation [ɛ̃sipit], insipit, est la plus ancienne. [inkipit], inekipit, est devenue majoritaire au XXe siècle.

L’incipit désigne les premiers mots d’une œuvre littéraire ou d’une œuvre musicale chantée.

Défi littéraire : comment commencer mon roman ?

Dans le cadre de mon défi littéraire, je vous invite à découvrir les 3 incipit que j’ai rédigés. Vous pourrez ainsi voter pour votre préféré !

Rendez-vous sur la page du defi-litteraire.

Quelques incipit :

Ce qui nous intéresse ici, ce sont bien sûr les premières phrases des romans. L’incipit, c’est la porte d’entrée, une porte d’entrée ouverte qui nous invite à visiter une histoire. Comme trois notes de musique, elle donne le ton, promet une ambiance, une écriture de valeur.

Du côté de l’auteur, de cette première phrase, peut naître un roman. Le premier cri. Le premier mot, le premier pas.

Reconnaîtrez-vous les incipit suivants ?

« Longtemps je me suis couché de bonne heure ».

Proust.

La première phrase d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, publié en 1913, est souvent citée en exemple.

Ce n’est pourtant pas l’incipit le plus accrocheur de notre fonds littéraire. On part sur une routine, quelque chose qui a duré longtemps et qui ne fait pas rêver : se coucher de bonne heure. C’est plutôt dans la suite que le lecteur peut s’immerger, entrer dans le récit et se sentir chez lui. Cependant, la banalité de la première phrase peut avoir cet effet de proximité. Comme le titre promet la recherche du temps perdu, on imagine donc qu’on entre dans l’intimité d’une vie.

L'incipit de A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann. Marcel Proust
Du côté de chez Swann. Marcel Proust

 « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas »

Albert Camus, avec L’étranger. 1942.

On commence par l’élément perturbateur qui vient de faire basculer la routine du héros, du moins le pense-t-on. Cet élément est brutal, c’est la mort. La mort d’une mère, celle qui nous a donné la vie. La phrase est courte, forte, chargée, elle va forcément toucher le lecteur, l’accrocher, le secouer. Dans la seconde, on imagine la perte de repères, le chamboulement du personnage.

L'incipit de L'étranger. Albert Camus
L’étranger. Albert Camus

« Ça y est, les résultats sont tombés sur Facebook. Je suis boudin de bronze. ». Et la suite : «  Perplexité. Après deux ans à être Boudin d’Or, moi qui me croyais indéboulonnable, j’avais tort. »

Les petites reines de Clémentine Beauvais. Ed. Sarbacane. 2015

Cet incipit m’a tout de suite accrochée

On sent l’esprit caustique du roman, la cruauté de nos pairs, l’autodérision de l’héroïne, Mireille, et aussi les obstacles qu’elle doit surmonter. On commence avec ce qui va handicaper l’avancée du personnage. Nous savons d’entrée que la vie n’est pas facile pour elle et qu’elle doit se montrer forte et héroïque.

L'incipit de Les petites reines. Clémentine Beauvais
Les petites reines. Clémentine Beauvais.

« 3 mars. Le docteur Strauss dit que je devrez écrire tout ce que je panse et que je me rapèle et tout ce qui marive à partir de mintenan. »

Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes, 1966.

Qui a dit qu’il fallait présenter un style remarquable, une écriture soignée, impeccable, pour faire de sa première phrase un atout ?

La preuve avec cet incipit. C’est l’originalité, la force, l’humanité des premiers mots qui nous donnent envie de lire les suivants. Ici, on est intrigué par les fautes, le langage limité d’un héros qui pourrait avoir six ans. Mais Charlie est un adulte de 32 ans, attardé. Et ce qu’il veut, lui, c’est devenir intelligent. Pour cela, il est prêt à passer entre les mains des scientifiques qui vont effectivement le rendre intelligent quelque temps.

L'incipit de Des fleurs pour Algernon. Daniel Keyes
Des fleurs pour Algernon. Daniel Keyes

« Un bâtiment gris et trapu de trente-quatre étages seulement. Au-dessus de l’entrée principale, les mots : CENTRE D’INCUBATION ET DE CONDITIONNEMENT DE LONDRES-CENTRAL, et, dans un écusson, la devise de l’État mondial : Communauté, Identité, Stabilité. »

Ces phrases minimalistes nous placent tout de suite face à un système inconnu. Déjà, le bâtiment de trente-quatre étages, seulement, peut nous laisser perplexes. Et tout ce qui suit nous intrigue. Curieux comme nous sommes, nous voulons savoir de quoi il retourne, dans quel monde on est entré. Et c’est dans Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. 1931

L'incipit de Le meilleur des Mondes. Aldous Huxley
Le meilleur des Mondes. Aldous Huxley

Mr et Mrs Dursley, qui habitaient au 4, Privet Drive, avaient toujours affirmé avec la plus grande fierté qu’ils étaient parfaitement normaux, merci pour eux.

Facile. Harry Potter à l’école des sorciers, de J.K. Rowling. 1997. On introduit l’histoire par le côté grotesque de deux personnages qui n’apparaitront à chaque fois qu’au début et en fin de chaque tome. Une famille pour qui la normalité est essentielle, ce qui rendra Harry Potter très malheureux. Ce qui lui fera aussi quitter les Dursley sans aucun regret chaque année.

L'incipit de Harry Potter à l'école des sorciers, de J. K. Rowling
Harry POtter. K. Rowling

Et celui-ci ?

« Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c’est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d’enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m’avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j’ai pas envie de raconter ça, et tout »

Salinger, L’attrape-cœurs. 1951. Tout de suite, le héros s’adresse à son lecteur, l’interpelle, parie sur sa curiosité. Il est prêt à raconter sa saloperie d’enfance, même s’il dit qu’il n’a pas envie. On sait qu’il va nous en faire le récit sur un ton bien particulier, un ton d’adolescent désabusé qui ne craint pas de choquer. Si je parle de Salinger, c’est aussi parce que j’ouvre une session d’atelier d’écriture Salinger. L’attrape-cœurs est un roman très inspirant. Et pas que par son incipit.

L'incipit de L'attrape-cœurs de J.D. Salinger
L’attrape-cœurs. J.D. Salinger

Vous en voulez d’autres ?

Vous pouvez consulter le site suivant :

Comment accroche-t-on avec l’incipit?

Comment l’écrivain va commencer son roman ? Quel incipit peut-il utiliser ? Quelle phrase qui va rebuter ou accrocher un éditeur ?Ceux-ci détestent certaines formules, certaines facilités qu’ils ont le loisir d’observer à la réception des manuscrits, ce dont je parlerai d’ailleurs dans un prochain article. Par exemple, Héloïse D’Ormesson déteste les récits qui commencent par des considérations météorologiques. En tant qu’écrivain, j’avoue que c’est tentant.

Le temps qu’il fait instaure une ambiance, une température, une humeur. Mais il semblerait que ce soit un élément trop commun dont les auteurs ont abusé.

Au-delà de l’incipit, le début permet de positionner un personnage, une époque, un genre littéraire, un mouvement, une écriture, un style, un ton. Il peut surprendre, aussi, nous tromper pour notre propre plaisir, et surtout intriguer. C’est une promesse. Il est important de la tenir.

L’écrivain choisit comme il va faire rentrer le lecteur dans son histoire :

  • Par l’élément perturbateur, comme Camus, Beauvais, Keyes. Ce type d’entrée est très accrocheur. Sans être dans l’action, on entre dans le changement, le lecteur est embarqué très rapidement.
  • La technique In médias res (au milieu des choses) : utilisée au cinéma, surtout, on arrive en pleine action, c’est donc encore plus efficace et accrocheur que la situation précédente. Par exemple : une femme est en train de courir, on comprend qu’elle est poursuivie. Dans ce cas, on est intrigué par ce qui est arrivé avant, autant que par ce qui va arriver après.
  • Par une situation commune (initiale) comme Proust, Salinger, Rowling, Huxley. C’est le schéma de base, classique, mais pas forcément le plus original. Malgré tout, à la manière de la météo, il nous installe, place l’histoire.
  • Par la fin. C’est souvent le cas dans le roman policier, où l’on commence par un crime, donc la fin. Le but de l’enquête étant de remonter dans le passé pour retrouver l’assassin.
  • Il arrive que le roman commence par une citation.
  • Le roman peut aussi commencer par un dialogue, même si ce n’est pas le plus efficace, à moins que le dialogue ne soit percutant.

Voilà, mes chers passagers écrivains. Vous saurez maintenant comment accrocher vos lecteurs dès la première phrase.

Et vous, lecteur ? Quels sont vos incipit préférés ?

N'hésitez pas à partager si vous avez aimé un article.

4 thoughts on “L’incipit : comment commencer un roman ?”

  1. Superbe article ! Ça m’a donné envie de lire Les petites reines et Des fleurs pour Algernon. Mais ça m’a aussi donné envie de me remettre à l’écriture.
    Un blog que je vais suivre sans conteste 🙂

  2. Cette recherche de l’incipit est toujours une recherche difficile. Il faut attirer l’oeil, par tous les moyen que tu as cité ici! Merci pour ce bel article! Mon incipit préféré est celui de Camus dont je me souviens encore après des années!

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