Faire ses gammes, composer de la poésie, s’entraîner à écrire avec la poésie japonaise, voici le sujet de cet article. Je l’ai souvent dit, mais écrire de la poésie permet de travailler son style, sa voix, son originalité. Et pour cela, la poésie japonaise s’avère intéressante car elle propose des exercices courts, néanmoins compliqués. En effet, elle oblige à extraire l’essentiel. L’avantage, c’est qu’enfants et adultes peuvent la pratiquer, chacun à son rythme et son niveau. C’est parti !
Le Haïku
Cette forme poétique est la plus connue, la plus pratiquée en atelier d’écriture. Pour la définition, la plus simple est celle de Wikipédia :
« Un haïku (俳句, haiku) est un poème d’origine japonaise extrêmement bref, célébrant l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent. Un haïku évoque généralement une saison (le kigo) et comporte souvent une césure (le kireji). Il est composé en principe de 17 mores (unité phonétique) réparties en trois vers suivant un schéma 5/7/5. »
Wikipédia
Il est issu d’une autre forme poétique le haïkaï, et plus particulièrement le Haïkaï renga, qui joue sur un registre comique, léger. Au 17e siècle, le poète Matsuo Bashō en fait un exercice à part entière, mais c’est le poète Masaoka Shiki qui donne son nom au haïku en 1891. Les Occidentaux vont s’en inspirer et le reprendre sous la forme d’un tercet de trois vers de 5, 7 et 5 syllabes, sachant que celles-ci peuvent contenir trois mores, ce qui peut offrir des vers irréguliers.
Exemple d’un des haïkus les plus connus
« Un vieil étang
Une grenouille qui plonge,
Le bruit de l’eau. »
Il est de Matsuo Bashö (1644-1694), considéré comme l’initiateur de la poésie comme art raffiné, et le poète le plus religieux.
Il existe trois autres grands maîtres :
- Yosa Buson (1716-1784), l’artiste qui se concentre sur les choses ;
- Kobayashi Issa (1763-1827), un humaniste qui se focalise sur l’âme de l’homme ;
- Masaoka Shiki (1867-1902), plus soucieux d’esthétisme et de réalisme, et père de la prose japonaise moderne.
En France, les poètes Julien Vocance et Eugène Guillevic sont les auteurs de haïkus les plus connus.
Un autre exemple :
quelqu’un rend visite
à quelqu’un
crépuscule d’automne
Yosa Buson
Atelier :
Je compare souvent l’exercice au sumi-e (peinture à l’encre noire), peinture japonaise. Avec quelques mouvements de peinture, on tâche de restituer l’essentiel, ce qu’il y a de plus pur. Le superflu dénature le caractère de ce que vous tentez de saisir.
Pour écrire votre haïku, imaginez donc une scène d’une des 4 saisons. Généralement, la scène se trouve dans la nature, comporte un animal, un élément tel que l’eau, le bois, les feuilles, la terre… Une sensation, plus qu’une émotion. Le haïku n’est pas constitué de phrases et, en langue japonaise, il n’y a pas non plus d’articles.
Pensez donc à ces coups de pinceau comme pour le sumi-e. Donnés ici avec des mots, ils lèchent un instant, le restituent simplement. 10 minutes.
Vous pouvez vous entraîner, sans réussir à tous les coups, mais c’est l’habitude qui crée la facilité. Tentez, réessayer, souvent, tous les jours, peut-être. Je pourrais également l’apparenter au tai-chi, comme un découpage de mouvements précis.
À suivre sur Instagram Laura Schlichter : @laura_dans_lair Elle présente régulièrement des consignes sur son compte et notamment en proposant l’écriture de haïkus.
Le Tanka.
Voici une autre forme littéraire pour s’entraîner à écrire avec la poésie japonaise et puiser dans nos ressources inhabituelles.
Définition Wikipédia :
Le tanka (短歌 littéralement « chant court ») est un poème japonais sans rimes, de 31 mores sur cinq lignes.
Définition la langue française
Petit poème japonais de 5 vers qui forment un total de 31 syllabes disposées avec un rythme de 5, 7, 5, 7 et 7. Généralement, les trois premières lignes décrivent la nature et les suivantes se concentrent sur l’émotion.
On en parle moins, mais le tanka, cet art littéraire très élitiste, à sa naissance, précède le haïku dans l’histoire de la poésie japonaise. Il est connu sous le nom de misohitomoji dans la littérature japonaise. Ce genre progresse pendant la période Héian (794-1192), prend de l’ampleur et remplace le wanka, le terme générique pour les poèmes japonais. Aujourd’hui encore au Japon, le tanka est considéré comme la forme la plus élevée de l’expression littéraire.
Comme le haïku, ce poème doit exprimer de l’instantané, mais avec plus de profondeur. Sa musique doit être agréable, les mots mélodieux, parce qu’ à l’origine on devait le lire en le chantant.
En pratiquant le tanka, certains se sont amusés à écrire à plusieurs : haïkaï renga (littéralement enchaînement de vers comiques) ou renku (littéralement enchaînement de vers). C’est une écriture faite à plusieurs mains. Un poète commence avec un poème en 5 – 7 – 5 et un autre répond en 7-7. Ensuite, un autre poursuit par un enchaînement en 5-7-5, etc. jusqu’à composer 36 parties indépendantes. C’est ainsi qu’est né le haïku, avec le maître du tanka, précédemment cité, Bashō.
Auteurs de tanka
Nous retrouvons le maître Bashō, mais aussi :
- Saigyō Hōshi (1118-1190), qui a composé une œuvre simple, spirituelle et sombre ;
- Fujiwara no Teika (1162-1241). Il a eu une grosse influence sur le wanka et le tanka ;
- Ryôkan (Yamamoto Eizô, 1758-1831). Poète de haïku et de tanka ;
- Teishin, poète femme (1798 – 1872), jeune moniale d’obédience zen Sōtō ;
- Ishikawa Takuboku né en 1886 et mort en 1912, surnommé le Rimbaud japonais.
Pour des auteurs modernes et francophones :
- Judith Gautier (1845-1917) est la première poète française à écrire du tanka (qui a été introduit en France par un ethnologue, Léon de Rosny) et surtout à en traduire ;
- Jacques Roubaud (né en 1932), poète et mathématicien qui fixe les règles du tanka français dans le recueil « Mono No Aware, le sentiment des choses » (1970) ;
- Patrick Simon, spécialiste du tanka qui en écrit lui-même.
Sites à consulter :
https://www.patricksimon.com/poesie/tanka.htm
Exemples de tanka
Les arbres eux mêmes
Ichihara
Qui, pourtant ne demandent rien,
Ont frères et sœurs.
Quelle tristesse est la mienne
De n’être qu’un enfant unique !
Je t’offre ces fleurs
De tes îles bien-aimées.
Sous nos ciels en pleurs,
Reconnais-tu leurs couleurs
Et leurs âmes parfumées ?
Judith Gautier.
Loin de tous, bien loin,
Fuir parmi les rocs sans nombre !
Et là, sans témoins,
Dans la solitude sombre
Conter mon amour à l’ombre !
Saigo traduit par J. Gautier.
Ateliers :
Sans doute que l’aspect collaboratif peut être retenu, puisqu’il a marqué la transition vers le haïku. À deux ou trois, il peut être intéressant de reprendre les règles déjà citées : « Un poète commence avec un poème en 5 – 7 – 5 et un autre répond en 7-7. Ensuite, un autre poursuit par un enchaînement en 5-7-5, etc. jusqu’à composer 36 parties indépendantes. » Prévoir 20 minutes et des compagnons de jeu.
@laura_dans_lair propose régulièrement ce type de collaboration.
Puis en suivant la composition du tanka même, qui permet de travailler plus sur l’émotion, avec plus de possibilités que les haïkus. On reste sur de la poésie courte et concentrée. C’est un excellent exercice pour apprendre à aller à l’essentiel, en peu de phrases. À rechercher également des mots mélodieux, un chant, une musique pour nos textes. Prévoir 15 minutes pour son premier tanka.
Conclusion
Le Japon est à la mode, aussi l’art japonais ne peut que séduire, notamment les plus jeunes d’entre nous. La pratique du haïku et du tanka peut ne pas plaire, mais les animateurs d’ateliers d’écriture le proposent très souvent. Ces poèmes demeurent une aubaine pour travailler sur l’essence des choses, pour rendre notre style plus pertinent, plus fort, avec peu de décorations. S’entraîner à écrire avec la poésie japonaise permet de sortir de nos consciences occidentales. Alors, vous le tentez, mes passagers ?
Pour d’autres ateliers, récapitulatif sur la page Ateliers d’écriture en ligne.
Bonjour,
Merci pour cet article qui m’a permis de découvrir les arts japonais.
Un vrai délice !
De rien. Un art qui peut inspirer le nôtre.