Écrire un roman comme un scénario

Écrire un roman comme un scénario offre une base de départ, un schéma de narration qui peut servir de point d’appui. Un récit respecte généralement une trame commune, une logique narrative, et cela depuis que l’homme sait raconter des histoires. Il existe des techniques ou des étapes reconnues pour accrocher le lecteur ou le spectateur. Fuyant les clichés, le scénariste prendra entre 6 mois et un an pour rédiger une œuvre de qualité. Voici donc les étapes à suivre selon Robert McKee, professeur d’écriture créative et auteur de Story – Ecrire un scénario pour le cinéma et la télévision (ed. Armand Colin, 2017).

Ecrire un roman comme un scénario. Les mêmes étapes.
Gerd Altmann Ecrire un roman comme un scénario

Comme un conte

Bien sûr, à la base de tout récit, film ou roman, on intègre toujours le schéma du conte, déjà croisé sur ce blog. Pour rappel, celui-ci préconise :

  • Une situation initiale.
  • Un élément déclencheur
  • Des péripéties ou des étapes
  • Un dénouement
  • Une situation finale.

La situation initiale permet de placer un sujet, des personnages, des éléments intéressants pour accrocher et mieux comprendre dans quoi l’on s’embarque. On sait à peu près de qui l’on parle, d’où, quand…

Situation initiale de La belle et la Bête La Belle et la Bête

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1711-1780)

Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et, comme ce marchand était un homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très belles, mais la cadette surtout se faisait admirer, et l’on ne l’appelait, quand elle était petite, que la BELLE ENFANT, en sorte que le nom lui en resta, ce qui donna beaucoup de jalousie à ses sœurs. Cette cadette, qui était plus belle que ses sœurs, était aussi meilleure qu’elles. Les deux aînées avaient beaucoup d’orgueil, parce qu’elles étaient riches : elles faisaient les dames, et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands ; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres. Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands les demandèrent en mariage. Mais les deux aînées répondirent qu’elles ne se marieraient jamais, à moins qu’elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins un comte. La Belle (car je vous ai dit que c’était le nom de la plus jeune), la Belle, dis-je, remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l’épouser, mais elle leur dit qu’elle était trop jeune, et qu’elle souhaitait de tenir compagnie à son père pendant quelques années.
Situation initiale de la Belle et la Bête http://touslescontes.com/biblio/conte.php?iDconte=282

Puis surgit l’élément déclencheur…

soudain…

La trame d'un conte, les étapes comme pour un scénario. La belle et le bête.
Gaëtan GUINÉ de Pixabay La belle et la Bête

Tout d’un coup, le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu’une petite maison de campagne, bien loin de la ville. Il dit en pleurant à ses enfants qu’il fallait aller demeurer dans cette maison, et qu’en travaillant comme des paysans ils y pourraient vivre“.

À partir de là, l’aventure, les péripéties commencent.

l’intrigue nous emporte, l’histoire cherche à retrouver un équilibre. Le dénouement permettra d’y remédier : « Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment, je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu’à vous. »

Et la situation finale propose un nouvel équilibre, une situation stable. « Ses sujets le virent avec joie ; et il épousa la Belle, qui vécut avec lui fort longtemps, et dans un bonheur parfait, parce qu’il était fondé sur la vertu. »

Lire le livre de Robert McKee pour écrire des romans. Story écrire un scénario pour le cinéma et la télévision
Story écrire un scénario pour le cinéma et la télévision

Comme un scénario

Robert McKee ne s’éloigne pas tant du conte quand il propose de réaliser une trame en 5 parties.

La situation de départ (non-événement pour McKee, donc non comptabilisée) ouvre la porte à ces 5 événements : le premier événement est l’incident déclencheur. Suivi par la complication progressive, puis la crise, le climax et enfin la résolution (on va donc parler de 6 étapes si l’on prend en compte la situation de départ).

1 La situation de départ :

Tout d’abord, on pose un contexte : l’époque, la durée, le lieu et l’intensité du conflit. Et un ou des protagonistes. À partir de ces contraintes ou de ces limites, on construit l’intrigue. Selon Robert McKee, « un monde limité et un petit nombre de personnages offrent la possibilité d’une connaissance plus approfondie », les connaissances de l’auteur étant complètes, il sera plus créatif et original.

Bien sûr, pour déclencher de l’intérêt, le personnage doit être posé, et l’on doit concevoir ses fragilités et ses possibilités. Il va devoir atteindre un objectif et se révéler, puis affronter des dilemmes de plus en plus difficiles, faire des choix sous la pression, sortir de sa zone de confort.

2 L’élément déclencheur

Harut Movsisyan de Pixabay L’élément déclencheur dans un scénario, Robert McKee.

Soudain, ça bascule. Sur un temps de lecture, ou de visionnage de film, l’événement déclencheur doit arriver dans la première demi-heure (ou au cours du premier tiers de l’histoire). Au-delà, le spectateur risque de lâcher. Mais l’auteur doit aussi prendre le temps de mettre en place tout ce que le public doit savoir. L’élément déclencheur doit être assez fort pour faire basculer le personnage, pour déséquilibrer sa vie. Le héros a alors le besoin de retrouver une stabilité. Il va y déployer toute son énergie, colonne vertébrale de l’histoire. Et son désir inconscient l’emporte sur le désir conscient, même si les deux peuvent être en jeu (et permettent de multiplier les intrigues).

Dès le début du film, le créateur engage ce qu’on appelle la scène obligatoire, une scène attendue, la crise. Le spectateur/lecteur sait qu’elle va avoir lieu et l’attend. Le scénariste fait une promesse, il doit la tenir. Chaque choix du scénariste (héros, genre, ambiance) participe à ses prévisions.

En élaborant un récit, nous devons penser au public, à ce qu’espère le public. « Le public est une force aussi déterminante du schéma de l’histoire que tout autre élément, car sans lui, l’acte créatif est sans objet. »

3 La complication progressive

Enfin, le cœur du récit. Le ou les protagonistes doivent avancer dans l’histoire, rencontrer des étapes ou des épreuves qui vont se compliquer. Les choix vont générer de plus en plus de conflits. Après le fossé narratif (voir plus loin), on comprend qu’il n’y aura pas de retour possible à la situation de départ. Les actions doivent devenir plus fortes, sortir de la normalité, demandent plus de capacités et de volonté. On vise toujours l’action finale. Le protagoniste va affronter des difficultés de plus en plus grandes. Comme ça se passe ?

Le fossé narratif :

Le protagoniste voudrait atteindre l’objet de son désir bien sûr au-delà de sa portée. Il entre alors en action. Mais se trouve face à un fossé entre l’attente et le résultat. Cela va provoquer des conflits et une seconde action. Il aborde le réel de son point de vue, mais ne peut appréhender toute la réalité.

Comme le personnage ne peut accéder à ce qu’il désire d’une façon normale, à moindre effort, il doit rassembler ses forces pour traverser ce fossé, et entreprendre cette seconde action plus difficile qui ne lui apportera pas plus de satisfaction. Pour cela, il doit prendre un risque.

Ecrire un roman comme un scénario. Les mêmes étapes.
Mohamed Hassan de Pixabay Ecrire un roman comme on écrit un scénario.

Une question importante à se poser : quel est le risque ? La réponse ne peut pas être rien. S’il reprend sa vie normale en cas d’échec, l’histoire ne vaut pas la peine d’être racontée, son désir n’avait pas de valeur véritable.

Par exemple, l’auteur prend des risques quand il écrit : le temps passé, voire l’argent dépensé, l’énergie, son estime… Son ambition lui fait accepter ces aléas.

Le héros peut rencontrer 4, 5, 6 fossés, toujours en progression de difficultés et de tension, jusqu’à l’extrême limite.

Pour cela, nous devons nous mettre à la place de notre personnage, entrer en son for intérieur. Pensez à utiliser le « et si » (déclencheur magique, comme je le disais dans un précédent article). Si j’étais lui, que ferais-je ? Nous faisons émerger nos émotions, pour les transmettre à un public. Mais nous devons également nous mettre à la place des autres personnages.

4 La crise

C’est la décision finale, la dernière action, celle que le protagoniste n’a pas encore essayée et qu’il va affronter pour de bon. Il n’y aura plus d’autres choix. C’est aussi la scène obligatoire anticipée par le public. Le héros se confronte au choix le plus difficile de sa vie.

5 Le Climax

4e phase chez MacKee, le point culminant de l’intrigue conduit à un renversement majeur. Le scénario devrait être écrit à partir de la crise et du climax, afin que toutes les scènes soient pensées pour y arriver, et souvent de façon surprenante. Le tout est d’avoir amené son public de manière progressive et variée, tout en l’émouvant avec des changements de valeur. Pour un film totalement réussi, le dernier acte et son climax doivent être satisfaisants. La majorité du travail de l’auteur tend vers cela. L’auteur doit penser à la promesse qu’il a fait au lecteur en commençant son roman.

Un exemple pour mieux comprendre :

Exemple de Timothée Meyrieux : « dans Harry Potter et la pierre philosophale, Harry décide d’affronter Voldemort seul (crise), affronte Voldemort (climax), arrive à vaincre Voldemort (dénouement), et ramène la paix dans l’école (conséquences). »

6 La résolution

5e phase d’un scénario, elle suit le climax et termine le film par une résolution positive, négative ou ironique. Elle permet au public de partir. Toutes les intrigues initiées doivent être réglées.

Le climax et la résolution doivent être réussis, c’est de ces dernières parties que dépendent l’intérêt et la qualité du film. C’est ce que le spectateur va retenir. Alors on s’applique, on évite le mou et le commun.

Dans les étapes du scénario, on écrit à la fin le rééquilibre de la situation.
Image par Elisa de Pixabay Rétablir l’équilibre en fin d’écriture de scénario.

Conclusion

Ce sont des étapes qui fonctionnent, qui permettent de savoir ce qui va embarquer un lecteur. Tout jeune auteur peut en prendre conscience afin de cerner les attentes du public, du moins d’un grand public. Bien sûr, la littérature ce n’est pas que ça. Pourrait-on par exemple retrouver ces étapes dans À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust ?

Je vous laisse chercher, mes passagers, mais pour vous, n’hésitez pas à reprendre ces trames pour mener votre intrigue.

person writing on a notebook beside macbook
Photo by Judit Peter on Pexels.com

 

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