En ce mois de novembre, je te propose des consignes pour une session d’ateliers d’écriture Comme Proust. En effet, cette année, on commémore le centenaire de la mort de Marcel Proust. Voilà pourquoi on voit un grand nombre de livres le concernant en librairie. Proust est un grand auteur, malgré tout, n’aie pas peur, mon petit passager, on ne part pas sur 7 tomes, mais seulement quelques lignes.
Marcel Proust.
L’auteur nait le 10 juillet 1871 à Paris, dans un milieu cultivé et aisé. De condition physique plutôt fragile, sa vie est entravée par des crises d’asthme. Il prend conscience à 9 ans, lors d’une grave crise, qu’il peut mourir à tout instant. Cela ne l’empêche pas de sortir, plus tard, de fréquenter les salons aristocratiques où il y rencontre des penseurs et des écrivains. Profitant de sa fortune, il n’occupera pas d’emploi, mais écrira beaucoup. Le temps, la mémoire, les sens occupent une partie de son œuvre, il est aussi un des premiers auteurs à parler d’homosexualité. Il commencera l’écriture de sa série en 1907.
Il décède à Paris le 18 novembre 1922. La fin d’À la recherche du temps perdu sera publiée à titre posthume.
L’œuvre est édifiée comme une recherche, une déconstruction du temps et de la mémoire, ou plutôt une reconstruction du temps et de la mémoire. Les sens, l’inconscience, le méconnu, les liens, la comédie humaine, les sentiments… tout cela est mis en mouvement par une narration en filaments. Le récit exige de l’attention pour tous les détails, personnages, évènements dont on ne sait l’importance qu’ils vont prendre. On note une prégnance des sens qui participent à la reconquête de la mémoire, et des phrases très longues, qui semblent tourner autour des souvenirs, comme pour leur redonner du sens, du réel. C’est avec cela que l’on va explorer des ateliers d’écriture.
Autour de la madeleine
Voilà la célèbre scène de la série À la recherche du temps perdu, qui a donné naissance au concept de la madeleine de Proust, c’est-à-dire au fait de se souvenir pleinement de son enfance grâce à un goût, une odeur, une texture…
Elle apparait dans le premier tome, Du côté de chez Swann. L’auteur raconte comment une madeleine trempée dans du thé le ramène à son enfance, à Combray, quand sa tante Léonie lui donnait un morceau de gâteau lors de ses visites.
« ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul (…) Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles, mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir »
La première consigne sera donc très simple : ta madeleine.
Trouve ce qui te ramène tout entier à un passé heureux ou non (un biscuit, un objet, une odeur, une action…). Peux-tu décrire ta « madeleine » comme Proust, cette odeur, cette saveur qui te ramène à ton passé, gouttelettes posées sur l’édifice immense du souvenir ? En t’aidant de tous les sens, décris précisément ce souvenir, celui qui t’envahit quand tu es confronté à ce qui le provoque.
Instant méditation
Pour entrer en méditation, on propose souvent l’exercice suivant : goûter un grain de raisin (ça marche aussi avec le chocolat). Avant de le mettre en bouche, bien prendre conscience de son poids, de sa matière, de son odeur, puis du mouvement qui le mène la bouche, le premier contact, la première sensation dans la bouche avant de le croquer, la rencontre avec la langue, les joues, puis le croquer enfin, et savourer tous les goûts, les textures, sa manière de se déliter…
Tu peux essayer cet exercice et raconter ton expérience ensuite. Le découpage des actions en lien avec les sens est toujours utile lorsque l’on écrit un roman. Cela permet de faire comprendre au lecteur ce que le narrateur est en train de vivre, mais surtout l’implique dans une sensation, une expérience que seule la littérature peut faire vivre.
Aussi longue soit la phrase
Proust à la réputation d’écrire de longues phrases. Cela a pour effet de montrer les divagations de l’esprit, les replis de la mémoire, et la quête difficile quand on remonte le temps pour retrouver des souvenirs.
Les auteurs qui se servent du skaz (lire mon dernier article) ou du flux de conscience vont également avoir recours à de grandes phrases, afin de montrer l’inconsistance de notre pensée, ou le cheminement complexe de la pensée humaine.
Extrait de Du côté de chez Swann :
« Puis je remarquais les expressions rares, presque archaïques qu’il aimait employer à certains moments où un flot caché d’harmonie, un prélude intérieur, soulevait son style ; et c’était aussi à ces moments-là qu’il se mettait à parler du “vain songe de la vie”, de “l’inépuisable torrent des belles apparences”, du tourment stérile et délicieux de comprendre et d’aimer », des « émouvantes effigies qui anoblissent à jamais la façade vénérable et charmante des cathédrales », qu’il exprimait toute une philosophie nouvelle pour moi par de merveilleuses images dont aurait dit que c’était elles qui avaient éveillé ce chant de harpes qui s’élevait alors et à l’accompagnement duquel elles donnaient quelque chose de sublime. »
Atelier Comme Proust :
Comme Proust, tu vas écrire la plus longue phrase que tu peux, en t’inspirant d’un style littéraire plus soutenu que le skaz (mais tu peux rester sur du skaz si tu préfères). Pour t’aider, imagine que ton cerveau est en train de reconquérir un souvenir, il cherche, tâtonne, harponne, ramène et pose la prise devant un lecteur attentif.
En phase 2, tu peux relire et rajouter encore des éléments. La contrainte de la forme entraine forcément une évolution du fond (relire l’article sur le fond et la forme).
Des paperoles à la bande-brouillon
Cet exercice s’inspire de la pratique de Marcel Proust. Celui-ci utilisait des paperoles (bandelettes de papier) pour revenir, corriger, améliorer ses textes (voir l’exposition de la BNF). La méthode est également exploitée par Muriel Guérin, professeure des écoles et docteure en sciences de l’éducation et de la formation (université Renne 2). Afin de faire travailler les jeunes élèves à partir des albums de Claude Ponti, elle propose la bande-brouillon : par binôme mixte, les enfants conçoivent une histoire qui est représentée par une longue feuille de couleur (ligne du temps). Au fur et à mesure, les écrivains en herbe apposent leurs paperoles, quand il faut préciser, arranger, rendre plus cohérent un récit.
En effet, un texte n’est pas forcément parfait au départ, chaque auteur tâtonne et invente en cours d’écriture, réoriente, redonne du sens, harmonise son récit. Le roman se construit au cours de l’acte créatif.
Revue à lire sur le sujet : Cahiers pédagogiques 578, juin 2022, Dossier : Écrire pour être lu, p. 14-15.
Cette fois, ce genre d’exercice nécessite une aide extérieure, quelqu’un qui peut mettre le doigt sur ce qu’il faut développer ou améliorer. Un adulte pourra peut-être y arriver tout seul, en revenant sur son histoire et en se posant des questions. Mais avec un jeune public, l’éducateur intervient pour lui faire prendre conscience des incohérences, en jouant les naïfs, questionnant, afin que l’enfant puisse par lui-même améliorer son texte.
Atelier Comme Proust : à essayer dès l’âge de 7 ans.
Sur une longue bande de papier blanche, écris les étapes de ton histoire, selon les normes du conte : Situation initiale. Élément déclencheur. Trois étapes (péripéties). Dénouement. Situation finale.
La trame à ce stade reste basique, incomplète, voire vide.
Reviens sur la situation initiale. Pose-toi des questions sur ton héros et réponds en ajoutant des paperoles de couleur bleue.
Par exemple si tu as écrit : Un jeune garçon vivait dans une famille très pauvre. Quel est le nom de ce garçon ? Où habite-t-il ? A-t-il des frères et des sœurs ? Comment s’appellent-ils ? Lui ressemblent-ils ? Le héros est-il heureux ? Quel est son caractère ? Qu’est-ce qu’il aime manger ? Est-il costaud ? Courageux ? A-t-il un point faible ? Une particularité ? Etc. Ainsi, tu peux étoffer ton personnage.
On obtiendra un texte plus développé. Édouard était un jeune garçon timide qui vivait dans un modeste hameau avec ses parents, très gentils, mais très occupés, et sa petite sœur. Celle-ci était pleine de gaîté, mais très malade. Malheureusement, la famille était trop pauvre pour la faire soigner. Tiens, on imagine déjà un élément déclencheur…
Pour l’élément déclencheur, on procède de la même façon, mais avec des paperoles de couleur rouge. On interroge les motivations de l’enfant et ses capacités à y répondre.
Un matin, Édouard entendit parler la voisine, une grosse femme très bavarde, d’un médecin fabuleux qui vivait à quelques kilomètres de là et soignait les pauvres gens qui le lui demandaient en échange d’un objet ou d’un service.
Pour les péripéties, on ajoute des paperoles jaunes.
Édouard prit la décision de partir avec sa sœur en dépit de l’abdication des parents. Comment ? Avec quel véhicule ? Quels objets ? Va-t-il avertir les parents ? D’ailleurs, pourquoi ceux-ci ne veulent-ils pas faire la démarche eux-mêmes ? On va creuser la psychologie des parents.
Pour le dénouement des paperoles vertes.
Le choix des couleurs est aléatoire. Mais quand des détails surgiront au cours de l’histoire, ils seront rajoutés à l’étape correspondante, marquée par la couleur identifiée.
Cet atelier d’écriture Comme Proust permet de comprendre le processus créatif, l’intérêt des retours en arrière, de prendre conscience d’une avancée qui n’est pas toujours linéaire. Par contre, la mise en œuvre demande du temps (le projet de Muriel Guérin s’est étalé sur deux semaines avec des ateliers quotidiens).
Conclusion
Voilà comment Proust, ce si grand auteur, peut inspirer notre créativité. Que tu sois enfant, adulte, éducateur, écrivain, tu peux utiliser quelques-uns de ces ateliers pour t’exercer à l’écriture. Tu peux aussi retrouver les ateliers sur la liste et la mémoire pour compléter cette session. N’oublie pas, c’est en écrivant que l’on devient écrivain. Comme Proust. Et si tu veux lire ou relire La recherche, je te propose de découvrir les belles couvertures des éditions Behagle ici.
Encore des consignes proustiennes ? Rendez-vous en partie 2 !
7 tomes à écrire !
Whaaaaaou!!! Je suis carrément emballée par ce que je viens de lire sérieux! Mais vraiment! Endécouvrant Proust, déjà aux premières lignes, j’ai été accrochée. Je croyais ensuite que cet écrivain était du style soporifique, et je découvre ce qu’est sa “madeleine”! Une vraie madeleine gateau qu’il a tant appréciée au point de nous la faire goûter, déguster, comme lui à l’époque. J’en ai les larmes aux yeux de lire cet article. Plein d’émotions.
Alors cet atelier, çà oui, je vais le proposer à mes enfants!
D’autant que je leur fais l’école, à 11 et 9 ans et que nous travaillons aussi avec le Projet Voltaire.
Alors merci pour ce que tu me fais découvrir… J’espère tellement que les enfants vont accrocher et passer un trés beau moment avec ce premier atelier d’écriture!
Je vais être trés diplômate et pédagogue pour les y amener.
Et je vais partager ton article avec une famille aussi en IEF (instruction en famille) qui je pense pourrait adorer cette expérience!
Je suis ravie que ça te plaise autant. Alors ce n’est pas le plus facile des ateliers d’écriture, surtout pour commencer, mais on peut tout essayer, en le transformant à sa sauce !
Ho oui je vais trouver la bonne formule! Je les connais bien mes loulous…Un peu fainéants de la plume ha! ha!
Mais si on fait appel à leur plus beau souvenir olfactif, gustatif, je suis certaine que je peux les amener dans cet oasis.^^
Merci Florence pour ce chouette article ! Je suis directrice d’un réseau de médiathèques et ça pourrait tout à fait donner lieu à des ateliers chez nous… Toujours preneuse de pistes pour l’animation de ce type de rendez-vous, e continuerai à te lire avec plaisir…
Ah chouette ! J’ai d’autres ateliers dans ma réserve ! Exploitez-les !