Aujourd’hui, mes chers passagers, on embarque dans l’Histoire, en quête du premier livre de fiction au monde. On a parlé des contes, dont la tradition orale a mené jusqu’à nous des histoires qui ont façonné notre culture. Mais il existe un récit plus ancien, écrit et transmis sur… tablettes. Alors pas les tablettes numériques, hein, mais des tablettes d’argile. C’est qui, c’est quoi ? L’épopée de Gilgamesh !
Qui est Gilgamesh ?
C’est le premier super héros de fiction, fils de la déesse Ninsun (Déesse du gros bétail). On pense que ce personnage s’inspire d’un roi d’Ourouk (ou Uruk), vers -2700, –2600 av. J.-C., mais il reste une figure légendaire. Personnage principal de plusieurs récits épiques, dont le plus célèbre est L’épopée de Gilgamesh, il a toutes les connaissances, il est fort, très grand et tyrannique. Ce qui devient gênant. Afin de le contrer, les Dieux créent son égal, Enkidou (abondamment velu). Celui-ci vit comme un sauvage, avec les animaux. Gilgamesh lui envoie une prostituée pour le tester. Très zélée, la jeune femme tente de lui apprendre bien des choses en dehors de la sexualité : comment manger, s’habiller, se tenir… Elle fait de lui un humain.
Enkidou se rend alors à Ourouk pour combattre Gilgamesh. Mais personne ne gagne. Par contre, les deux hommes deviennent amis et partent à l’aventure. Ils combattent Humbada de la forêt de cèdres du Liban, puis tuent le taureau céleste envoyé par la déesse Ishtar. Ils partagent leurs jours et leurs nuits, se racontent tout, et s’adorent vraiment.
Pour les punir, les Dieux rendent Enkidou malade. Il meurt.
Gilgamesh ne se remet pas de ce décès. Il décide qu’il ne doit pas mourir et part sur l’île où vit l’immortel Ut-naphistim, unique survivant du déluge. Celui-ci lui apprend qu’il ne pourra jamais avoir la vie éternelle.
Notre super héros rentre chez lui pour transmettre la sagesse acquise sur l’île.
Dans d’autres textes, Gilgamesh apparaît aussi comme une divinité des enfers ou fils d’un démon.
Est-ce vraiment la première fiction au monde ?
Disons que c’est la première fiction qui a été écrite, en cunéiforme, sur 12 tablettes d’argile, en 3000 vers. Cette œuvre est née à Sumer, peu après l’invention de l’écriture il y a 5000 ans, en Mésopotamie, donc, berceau de la civilisation. L’écriture servait tout d’abord à l’administration, puis peu à peu à la culture. C’est ainsi que L’épopée de Gilgamesh est née. Elle a été copiée et recopiée, transmise dans toute la Mésopotamie pendant plus de 2000 ans. On peut parler d’un grand succès ! D’autant plus que les versions orales existaient également.
Le récit disparait pendant 3000 ans, puis est retrouvé par des archéologues en 1849. Ils envoient les tablettes au British Museum (oui, on ne s’embête pas) où George Smith, un jeune imprimeur, va tenter de traduire les tablettes. Il met ainsi à jour le premier texte de fiction écrit par l’humanité.
Son auteur d’origine serait un scribe nommé Sin-Legi-Unninni. Mais comme Homère (auteur de l’Illiade et de L’Odyssée), on ne peut être sûr de son existence.
L’incipit de son texte serait Celui qui a vu l’abîme.
Gilgamesh, source d’inspiration
Moins connu qu’Ulysse ou le roi Arthur, l’héritage de ce roi légendaire n’en est pas moins important.
Tout d’abord, on y trouve cette référence au déluge, découverte sur les tablettes, qui pourrait être à l’origine de la scène du déluge dans La Bible. L’épopée de Gilgamesh est aussi un texte religieux, qui parle de la vie, de mort, de la condition humaine.
Il est possible également que le Récit de Buluqiya dans Les Mille et une nuits s’inspire des deux héros.
On retrouve la figure de Gilgamesh dans beaucoup de romans, BD, séries de science-fiction, jeux vidéos. Il existe même un héros dans l’univers de Marvel, Forgotten One.
La trame ressemble à celle de toute histoire :
– Une situation initiale qui met en scène un roi tyrannique qui ne se remet pas en question, il est un héros avec des particularités ;
– Élément déclencheur : la création d’Endikou ;
– Les étapes : les combats, le passage sur l’île ;
– Et le dénouement : retour chez lui pour distiller sa sagesse nouvellement acquise.
Pour lire le récit, vous avez le choix :
Le premier roi du monde : l’épopée de Gilgamesh, par Jacques Cassabois, Gallimard 2004.
Le récit de Gilgamesh, par Stéphane Labbe, l’école des Loisirs, 2010
L’épopée de Gilgamesh, par Pierre-Marie Beaude, éd. Folio, 2009.
Au programme de 6e, cette œuvre de fiction peut être lue en parallèle avec d’autres récits fondateurs.
À lire un article très complet sur Wikipédia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gilgamesh
Extraits de L’épopée de Gilgamesh
(Et c’est là), dans la steppe,
(Qu’) elle forma Enkidu-le-preux.
Mis au monde en la Solitude,
Aussi compact que Ninurta.
Abondamment velu par tout le corps,
Il avait une chevelure de femme,
Aux boucles foisonnant comme un champ d’épis.
Ne connaissant ni concitoyens, ni pays,
Accoutré à la sauvage,
En compagnie des gazelles, il broutait ;
En compagnie de (sa) harde, il fréquentait l’aiguade ;
Il se régalait d’eau en compagnie des bêtes.
— Tablette I de la version standard, traduction de Jean Bottéro
Et Shamash, contre Humbaba,
Fit lever de grandes tempêtes :
Vent-du-Nord, Vent-du-Sud,
Vent d’Est, Vent d’Ouest, Vent-souffleur,
Vent-rafales, Vent-tourbillons,
Vent-mauvais, Vent-poussières,
Vent-morbifère, Vent-de-Gel,
Et Tempête, et Tornade :
Les Treize Vents (tant) se ruèrent sur lui,
Que son visage s’assombrit :
Il ne pouvait, ni avancer, ni reculer,
À portée des armes de Gilgamesh.
— Tablette V de la version standard, traduction de J. Bottéro
Comme un roseau de la cannaie, l’humanité (doit) être brisée !
Le meilleur des jeunes hommes, la meilleure des jeunes femmes,
[Sont enlevés (?)] [par la main (?)] de la Mort,
La Mort, que personne n’a vue,
Dont nul n’a aperçu le visage,
[Ni] [entendu] [la] voix :
La Mort cruelle, qui brise les hommes !
Bâtissons-nous des maisons pour toujours ?
Scellons-nous de engagements pour toujours ?
Partage-t-on un patrimoine pour toujours ?
La haine se maintient-elle ici-bas pour toujours ?
Le fleuve monte-t-il en crue pour toujours ?
(Tels) des éphémères (?) emportés au courant,
(De) visages qui voyaient le soleil,
Tout à coup, il ne reste plus rien !
Endormi et mort, c’est tout un !
— Tablette XI de la version standard, traduction de J. Bottéro
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Conclusion
Ce héros vous inspire-t-il ? N’est-ce pas vertigineux de se dire que la fiction a sans doute toujours accompagné l’homme ? Et que la littérature est très vite apparue dans notre civilisation ? L’épopée de Gilgamesh, premier livre de fiction au monde : à lire absolument, pour tous les écrivains en herbes.
Effectivement, c’est, comme vous le dites “vertigineux” d’apprendre que la fiction aurait depuis ces temps anciens, toujours accompagné l’homme ! Merci pour ce bel article 🙂
Ca rassure sur l’intérêt de notre activité !
Je dois faire un exposé sur la science fiction et j’aimerai parler de cette épopée comme étant le berceau de la science fiction. Cependant il n’est pas question de science (surtout pas en l’an -2000), mais uniquement de fiction. Dois-je le citer ou non ?
Bonjour,
Le récit de Gilgamesh est le premier récit de fiction, en cela il est à l’origine de la littérature, et donc de tous les genres. Mais pas particulièrement de la science-fiction, qui met en scène un récit se passant dans un futur probable (avec des technologies que nous n’avons pas encore). Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il est à l’origine de la science-fiction, qui prend sa source fin XIXe, début XXe siècle.
Attention de ne pas confondre fiction (histoires inventées) et science-fiction (récit se passant dans un futur possible, avec des technologies non encore inventées).