Dans un roman, les héros, ou héroïnes sont des personnes. Mais ce ne sont pas forcément les entités les plus importantes du récit. Du moins, ils ne portent pas l’histoire tout seuls. En disant cela, je pense à ce qui entoure, soutient, détourne, effraie, rassure le protagoniste. Et ce peut être une maison, une ville, une entreprise, une saison, un lieu, une époque…
En cette période estivale, j’avais donc envie de traiter des vacances, sorte de parenthèses dans l’existence qui permettent de vivre des expériences, d’aborder la vie et les gens d’une manière différente, dans une ambiance particulière.
Dans mon enfance, j’ai passé mes vacances avec beaucoup de joie et, le plus simplement du monde, dans la résidence secondaire de mes grands-parents. Jamais je n’ai pu retrouver depuis cette singularité, cette profondeur, cette parenthèse nécessaire dans un lieu connu et approprié. Pour prolonger ce plaisir, j’ai d’ailleurs écrit un roman qui s’inspire de cette maison, véritable héroïne de mon enfance (toujours en cours de correction).
J’ai donc cherché en littérature cette ambiance, ce qui pouvait se rapprocher le plus de ce que j’avais vécu. J’ai trouvé avec beaucoup de difficulté quelques titres. Je les partage avec vous ; embarquez avec moi dans des voyages livresques.
La gloire de mon père, Le château de ma mère (et Le temps des secrets, Le temps des amours) Marcel Pagnol, 1957.
L’auteur relate avec poésie et humour ses souvenirs d’enfance, et notamment les vacances dans une maison louée par sa famille, en face de la garrigue. Marcel raconte cette découverte, cette parenthèse extraordinaire dans son existence, du chemin parcouru pour accéder à la demeure, aux parties de chasse, qui lui donneront un aperçu différent de ses parents, à son initiation face à la nature. À chaque période de vacances, l’excitation est là, les retrouvailles avec cette région sauvage, la maison comme un refuge de l’enfance, les amitiés, les amours, des activités propres à la période et l’endroit. Qui sont vraiment les héros de ce roman ? Les vacances d’été, héroïnes de roman, c’est sûr !
On se réapproprie dans ce récit les saveurs des congés d’été, notamment quand ils rassemblent les familles au même endroit, engageant à une exploration de soi plus que d’un pays. Le lieu est alors un protagoniste à part entière, jouant son rôle unique, creusant l’ambiance et la dynamique. Lecture en BD également.
Du côté de chez Swann (et autres tomes d’À la recherche du temps perdu), de Marcel Proust, publié en 1913.
Le premier tome de La recherche débute avec les souvenirs d’enfance du narrateur dans une maison de vacances, à Combray. Il raconte les rapports avec ses parents, la passion pour sa mère, mais aussi la découverte des divers personnages qu’il observe. Tous les sens de l’enfant sont en alerte, de manière optimum à la belle saison, quand l’on vit plus souvent dehors, quand la chaleur soulève les odeurs et les lumières à toute heure de la journée. Le temps, en vacances, se déroule différemment, donnant à l’espace plus d’ampleur et de présence. C’est à cette période qu’a lieu la scène culte avec la fameuse madeleine de Proust. Le goût de la madeleine trempée dans une tisane ramène le personnage sur les chemins de son enfance. Une œuvre riche, d’un point de vue littéraire, mais aussi psychologique.
Bonjour tristesse, de Françoise Sagan, 1954
Cécile, dix-sept ans, doit réviser pour le rattrapage du Bac. Elle passe ses vacances avec son père et sa maîtresse, Elsa, une jeune femme avec qui elle s’entend bien. Cécile a une relation très forte avec son père. Tous deux sont des amoureux de la liberté, profitant de chaque plaisir qui se présente, du temps qu’ils ont et du lieu qui permet de soumettre les corps au soleil et aux baignades. L’arrivée d’Anne va changer l’ambiance, celle-ci prônant plus de sagesse et de sérieux. L’amour et les interactions entre vacanciers qui passent du temps ensemble pendant une période de liberté tissent les fils directeurs de cette œuvre.
J’ai déjà parlé de cette auteure, dans l’article sur les auteurs précoce. En effet, Françoise Sagan a remporté beaucoup de succès avec ce premier roman, à dix-huit ans.
Frankie Addams, de Carson Mac Culler, 1946.
Cette fois, nous partageons le mois d’aout dans le sud des États-Unis avec l’héroïne, un garçon manqué de 12 ans, ennuyée de ne pas partir en vacances. Elle reste chez elle à tourner en rond, à discuter avec un petit garçon et sa bonne. L’auteure raconte très bien l’adolescence, notamment quand les vacances d’été font échos à la moiteur et l’immobilisme de cette période suspendue. Quelque chose change, naît, mais pour l’accoucher totalement, il faut partir, fuir, tuer, abandonner la peau de l’enfance pour trouver enfin la chair et la conscience de l’adulte.
Et Frankie se cherche. Les récréations laissent ce temps libre qui permet la quête de soi-même. Dans ce roman, l’été renforce le malaise de l’héroïne. Carson McCuller fait aussi partie des auteurs précoces, déjà citée dans un des mes articles.
L’amie prodigieuse, Elena Ferrante, 2014
Il existe 4 tomes de la série L’amie prodigieuse, un de mes coups de cœur de ces dernières années. C’est l’histoire de deux amies d’enfance dans la ville de Naples, à la fin des années 50 (jusqu’à leurs soixante ans passés). Elena et Lila.
Le récit traverse toute une vie, on pourrait donc penser qu’il n’entre pas dans ma catégorie vacances, cependant, Elena, à l’adolescence, aura l’opportunité de partir en repos à la mer. Comme chez nos autres adolescents, cet épisode va la faire basculer, déjà parce qu’elle cède sa virginité, et qu’elle se sent aussi très jolie, cet été-là. Cet éloignement de son quotidien la fera évoluer, la rendant désormais plus gourmande en indépendance. Elle reviendra sur ce lieu de vacances, plus tard, avec son amie Lila. Cette fois encore, cette période marque un tournant dans son histoire ; des lambeaux de chair à laisser, la liberté à travailler.
Chardon chéri, Yasmina Behagle, 2021
Cette fois, c’est un roman policier qui nous immerge dans un Gers estival et typique. Robin, écrivain en panne d’inspiration, revient dans son village natal. Il apprend alors la disparition de Nour, un amour de jeunesse. Intrigué, presque malgré lui, il se met à enquêter, en quête d’idées, de vérité et peut-être de lui-même. Les personnages sont tous à multiples couches, parfois médiocres, parfois touchants, le héros au même titre que les autres. De nouveau, l’été apparaît comme un retour sur notre jeunesse et apporte des relents tantôt heureux, tantôt douloureux. L’écriture de cette auteure est accrocheuse, ses personnages sont superbement imparfaits et l’intrigue bien menée. A lire pendant les vacances d’été pour mieux savourer.
Trois, de Valérie Perrin, Livre de poche 2022
En vérité, je ne suis plus certaine que la période de vacances d’été soit très présente, puisque le récit suit le parcours de trois amis sur plusieurs années. Mais quand je fais des recherches sur ce roman, beaucoup de lecteurs parlent d’une lecture d’été. C’est la réapparition d’une voiture, épave sortie d’un lac, proche du hameau où ils vécurent enfants, qui va permettre de renouer des liens et surtout de rétablir la vérité, dissolue dans les secrets de chacun.
Beaucoup de thèmes sont abordés dans ce roman, et l’on retient comme une lumière d’été.
Et plutôt pour les adolescents :
Nous les menteurs, E. Lockart, Gallimard, 2015
Chaque été, les Sinclair se réunissent sur leur île privée. Le grand-père et ses trois filles, puis les petits-enfants. Tout le monde est beau, blond, svelte, sportif. L’année de ses 15 ans, Cadence, l’ainée des petits-enfants, héritière et héroïne principale de ce roman, est retrouvée en petite tenue sur la plage, amnésique. Un traumatisme crânien lui fait vivre l’enfer pendant les deux années qui suivent. L’été de ses dix-sept ans, elle revient sur l’île pour les vacances. Mais il serait temps pour elle de comprendre ce qu’il s’est passé deux ans plus tôt. Entre mensonges, amour et soleil, ce roman jeunesse perturbant et bien écrit n’offre pas les souvenirs gorgés d’enfance et de Provence à la Pagnol. On navigue plutôt en eaux troubles, curieux de connaître le fin mot de l’histoire.
Outrageusement romantique, de Manu Causse, 2021, collection Court toujours chez Nathan
Autre ambiance, encore, qui ne s’appuie pas que sur de jolis souvenirs côtiers habituels. On retrouve toutefois le parallèle fait entre l’adolescence et les vacances d’été ; elles se présenteraient comme deux périodes de passage, qui ébranlent assez les corps pour les faire évoluer, tout à fait les esprits pour les faire grandir. Le héros ici a toujours aimé les vacances à la mer, en famille, mais le voilà devenu ado, pas très à l’aise dans son corps, agacé par les manies familiales et embarrassé par lui-même. Puis, c’est le coup de foudre en croisant le regard de l’énigmatique Louise. Les familles se rapprochent, mais lui n’a d’yeux que pour la jeune fille. Des parts mystérieuses lui semblent liées à son état amoureux. Mais il se passe autre chose, quelque chose de bien plus troublant. Un roman court, très bien écrit, intrigant, qui retournera le lecteur dans les dernières pages.
Quatre filles et un jean, Ann Brashares, 2002
Cette série pour adolescents, mais pas que, met en scène quatre amies. L’été de leurs 16 ans, elles vont pour la première fois être séparées, chacune ayant un projet différent. Mais elles trouvent le moyen de garder le lien : un jean, qu’elles vont s’échanger au cours de l’été. Ce pantalon a la particularité d’aller parfaitement à chacune et de leur redonner confiance en elles. Amour, amitié, évolution, voici le parcours de quatre ados, sur quatre étés. Encore une fois, on trouve ce lien entre les vacances d’été et le passage à l’âge adulte. Les vacances sont aussi les héroïnes de ce roman.
Alors on est loin de Proust, ou de Pagnol, mais ça reste une lecture agréable où les vacances d’été sont les héroïnes. Par contre, je ne suis pas certaine qu’on y trouve beaucoup d’intérêt passé un certain âge.
Quand tout menace, Florence Dalbes, 2022
Pour finir, je parlerai de mon roman dont l’intrigue se déroule du printemps à l’automne. L’ambiance des vacances y est très présente, le thème de l’enfance particulièrement développé. Manon vit dans une caravane avec sa mère, se protégeant d’un père violent. Elle est avide de liberté, ce que ne comprennent pas toujours les adultes. Elle conquiert son environnement, la nature, avec audace, désobéissance et passion. Ce n’est pas une petite fille facile, mais c’est tout son parcourt qui est difficile. Pour le soleil, l’été, l’eau fraiche, les pipis dehors et les chevaux qui trottent dans l’herbe chaude, je ne pouvais pas ne pas évoquer ce roman. L’enfance, l’adolescence et les temps vacants sont des thèmes qui me tiennent à cœur.
Et de votre côté, vous avez des titres à proposer ? C’est la saison, on est preneurs ! Je sais qu’il en existe plein d’autres. je dois lire par exemple Frangines, D’Adèle Bréau, qui est un parfait roman de vacances. Ce sera ma prochaine lecture.