Pourquoi présenter des romans qui traitent du handicap et de l’atypie dans la littérature jeunesse (j’ai inventé le terme atypicité pour renforcer le concept) ? Parce que je suis une grande lectrice de cette littérature, par mon métier, et par goût de ce public difficile à convaincre. Si je lis du fantastique, j’aime surtout les récits de vie, l’initiation, les personnages décalés, neuroatypiques, hors normes, les premières fois, les mots qui décrivent cette existence en expansion, en suspension, en chute libre ou en ascension. Et les thèmes de l’exclusion, et de l’inclusivité me paraissent importants. Tout le monde n’est pas blanc, parfaitement en bonne santé, entier et dans la norme. Tu me suis, pour découvrir des héros extraordinaires qui ont du cran ? Voilà 10 romans (et plus) à lire !
Le bizarre incident du chien pendant la nuit, de Mark Haddon, 2003 (pocket 2005). Il a remporté le prestigieux prix Whitbread du meilleur livre de l’année 2003.
Cette lecture n’est pas sans me rappeler le roman Des fleurs pour Algernon, dont j’ai déjà parlé, parce que c’est le narrateur, atypique, qui raconte son histoire : Christopher Boone, 15 ans, autiste. Cela nous permet de nous immerger dans un type de pensée différent, de voir le monde avec un nouveau regard, et l’expérience est toujours intéressante. Ce garçon très particulier aime Sherlock Holmes, les chiffres, et comprend la théorie de la relativité plus que ses semblables, humains étranges qui ne semblent pas gênés par le mensonge.
Lorsque le caniche de son voisin est retrouvé mort, l’adolescent va se mettre à enquêter. C’est une épreuve redoutable quand on ne s’éloigne jamais de son quartier et que l’on ne saisit pas les normes, les gens qui nous touchent ou cet univers adulte construit de bizarreries dérangeantes.
Un roman sensible, à l’écriture intéressante, parsemé de références mathématiques. Tout cela allié à une enquête policière, du suspense et une fin proche de la réflexion sociale.
À lire aussi :
Le monde de Lenny, Valérie Dayre, 2009 (un enfant différent et sa relation avec ses enseignants).
Le monde de Marcelo, Anne Kief, 2010 (un jeune autiste qui se confronte au monde du travail et à l’amour).
L’histoire du garçon qui voulait vivre dans un bocal, Lisa Thomson, 2017 (enquête d’un jeune garçon atteint de troubles obsessionnels).
Un détective (très très spécial), de Romain Pertuolas, 2017 (la trisomie traitée au travers d’une enquête et de l’humour).
Moi, Ambrose, roi du Scrabble, de Susin Nielsen, Hélium, 2012
Ambrose est un garçon hypersensible, décalé, allergique aux cacahuètes et peu doué pour les relations avec les autres. Sujet au harcèlement, sa mère décide de lui faire quitter l’école. Pour passer le temps, Ambrose développe ses capacités au scrabble grâce à son voisin, un jeune adulte peu recommandable.
Purement atypique, l’adolescent évolue entre naïveté et humour, pris malgré tout dans les tourments quotidiens, la cruauté humaine. L’auteure aime ce genre de personnage, haut potentiel, autiste, hypersensible, en décalage, qui doit sans cesse surmonter une différence handicapante socialement.
Son écriture balaie ce qu’il pourrait y avoir de lourd dans l’accumulation de drames de ses héros. Ceux-ci sont attachants et donnent envie de les rencontrer.
À lire aussi du même auteur :
On est tous faits de molécules. 2015. (Haut potentiel et intégration familiale et scolaire).
Un si petit oiseau, de Marie Pavlenko, Flammarion jeunesse, 2019
Abi, 20 ans, est amputée d’un bras après un accident de voiture. C’est un cataclysme qui va toucher toute la famille. Mais la jeune fille, happée toute entière par ce drame, n’a pas l’impression de pouvoir s’en remettre. Tous ses rêves sont partis avec l’accident. Il ne lui reste que ses douleurs, son handicap. Jusqu’au jour où elle reçoit un livre, La main coupée, de Blaise Cendras. Quelque chose va changer. Les retrouvailles, aussi, avec un copain d’avant, fana d’oiseaux, vont l’aider à repêcher un peu de vie et d’espoir.
Une belle histoire qui nous fait vivre toutes les émotions de l’héroïne, quand elle sombre ou relève la tête. La plume de Marie Pavlenko a ce talent de nous faire vibrer et comprendre de l’intérieur l’éboulement du corps et du cœur d’Abi.
À lire aussi
Les optimistes meurent en premier, de Susin Nielsen, 2017. Une adolescente qui peut surmonter un drame et des phobies, grâce à la présence de « l’Homme Bionique », qui a perdu un bras sans avoir perdu l’espoir et la force.
Envole-moi, de Anne-Lise Heurtier, Casterman 2021
Swann, 15 ans, jeune guitariste, va tomber amoureux, sans y être préparé. Et le sujet de son amour, Joanna, est une battante, pleine de joie de vivre et d’optimisme. Tant qu’on pourrait oublier ce petit détail : elle est handicapée, n’ayant plus l’usage de ses jambes. Swann peut se montrer maladroit parfois, mais c’est surtout l’entourage qui pose problème, pas le handicap. Même si le fait de ne pas toujours pouvoir faire les mêmes choses est une épreuve à ce jeune amour. La passion de Joanna, c’est la danse. Et un jour, ce rêve tombé dans l’oubli, se rappelle à elle. Il lui faudra alors un Swann créatif et passionné pour lui prouver que le rêve n’est pas mort.
Les personnages m’ont paru très matures, pour des jeunes de 15 ans, mais l’histoire reste intéressante pour comprendre le point de vue d’une adolescente handicapée. Le tout porté par la plume de Anne-Lise Heurtier, dont l’écriture sait saisir les défaillances de nos sociétés.
À lire aussi
Comme sur des roulettes, de Malika Ferdjoukh (une jeune héroïne qui n’a plus l’usage de ses jambes).
Wonder, de R. J. Palacio, Pocket jeunesse, 2014
Pour la première fois, August prend le chemin de l’école. Jusqu’à présent, ses parents hésitaient, parce que leur fils est né avec une malformation faciale qui ne peut passer inaperçue. Généralement, l’enfant se cache derrière son déguisement de cosmonaute préféré, mais au collège c’est impossible, il va devoir affronter les autres. On le sait, les autres ne sont pas tendres, surtout face à la différence, et une différence effrayante. Mais Auguste, superbement atypique, va tout mettre en œuvre pour se faire accepter.
L’intérêt et l’originalité de ce récit sont l’alternance de points de vue. Comme dans un Si petit oiseau, on découvre à quel point la famille est impactée, notamment le frère ou la sœur. Il y a un côté américain dans l’intrigue. Normal, l’auteure est américaine. Le roman est très bien construit, on s’attache tout de suite à August, et l’on craint pour son estime à chaque rencontre. Un film tiré du livre est sorti en 2017.
Inséparables, de Sarah Crossan, Rageot, 2017
Grace et Tippi sont sœurs jumelles. Ou plutôt sœurs siamoises, unies à vie par la hanche, partageant ainsi quelques organes importants. Elles se sentent malgré tout deux êtres distincts, avec leurs caractères propres et leurs envies. À 16 ans, elles vont entrer au lycée pour la première fois, faute d’argent. Avec humour et force, elles vont affronter le regard des autres et trouver des amis. Et même l’amour, pour l’une des sœurs. C’est d’ailleurs une situation gênante, quand on ne peut se défaire de sa jumelle. Mais la situation va se compliquer davantage à partir du moment où l’une d’elles tombe malade.
Comme dans les précédents romans, on voit à quel point le soutien de la famille est important, à quel point aussi une dose d’humour est nécessaire. Là encore, une petite sœur doit trouver sa place dans un milieu où la différence, le handicap, la maladie prennent toute la place.
L’écriture de Sarah Crossan est sublime, originale, tissée en dentelle. Comme dans un poème, les césures donnent de la force aux mots. Je recommande ce roman très poignant, intense.
Les petites reines, de Clémentine Beauvais, Sarbacane, 2015
Chaque année, au lycée, certains élisent les boudins de l’année. Mireille Laplanche, Hakima et Astrid obtiennent les trois premières places.
Mais loin de se lamenter, les filles se lancent un défi. Rejoindre Paris à bicyclette en partant de Bourg-en-Bresse. Et pour financer ce projet, elles vendent des boudins tout au long de leur parcours. C’est avec humour et persévérance qu’elles affrontent donc la situation. Clémentine Beauvais ne traite pas le sujet de manière triste ou très réelle. L’histoire est ailleurs. Nos trois héroïnes, bien ancrées dans leurs corps dénués de grâce, de beauté ou de superficialité, prennent leur vie en main, maitresse de leur destin. Percutant, drôle, le récit ne plonge pas dans la facilité, ne revient pas sur ce qu’il promet : on est moche pour vous, et alors, pourquoi on changerait ? On vit et on peut accomplir bien des choses avec de la volonté.
La fourmi rouge, Emilie Chazerand, Sarbacane, 2017
Vania, 15 ans, a un mauvais karma. Un père taxidermiste, une mère absente, un drame enfoui, et la paupière qui tombe. Ses amis sont un peu de la même veine, du genre atypique, pas tellement dans la norme exigée au lycée. Puis un jour, un anonyme lui envoie un mail la comparant à la fourmi rouge. Cela l’intrigue. Oui, elle est différente, résistante, pleine d’humour et de barrières de protection. L’image de la fourmi rouge l’interpelle, lui fait prendre conscience qu’elle est un individu important.
Une écriture percutante et drôle, des personnages peu ordinaires, et tellement intéressants ! Puis des secrets à découvrir, une histoire d’amour… Tous les ingrédients sont là pour créer de ce moment de lecture un très bon souvenir.
Le cœur en braille, de Pascal Ruter, Didier jeunesse, 2012
Victor n’est pas fan de l’école, mais reste un enfant actif et passionné de mécanique, malicieux et malin. Marie-José, haut potentiel, va chambouler son existence. À l’inverse de Victor, elle aime le violoncelle et apprendre. Sous une apparence lisse, la jeune fille est en train de traverser une épreuve, car sa vue commence à faire des siennes. Comme le jeune garçon découvre son secret, elle lui fait promettre de l’aider à cacher ce secret. En échange, elle l’aidera à réussir en cours. Même si elle devient aveugle, elle a un projet, un objectif à atteindre.
Pascal Ruter a une belle écriture pétillante et le don de croquer des personnages avec douceur. On est vite embarqué dans l’histoire d’amitié, puis d’amour de ces deux héros sympathiques.
À lire aussi :
Au cinéma Lux, de Janine Teisson, 2007, une très bonne auteure qui nous laisse deviner le handicap de ses héros.
Les cœurs tordus : même ambiance de collège avec une classe ULIS. Divers handicaps, beaucoup d’humour et une histoire d’amour.
Dys sur 10, de Delphin Plessin, Pocket 2018
Dylan, 14 ans, est dyslexique. Il veut à tout prix le cacher et se montrer comme quelqu’un de fort. N’empêche, c’est difficile de réussir à l’école avec cet handicap, du moins cette autre manière d’appréhender l’apprentissage. Tout est compliqué. Jusqu’à ce qu’une professeure monte un projet théâtre en classe. L’adolescent va alors retrouver goût au système scolaire. Un roman très intéressant pour mieux comprendre le phénomène de la dyslexie. On se met à la place du héros et on imagine les difficultés des élèves en général. Facile à lire, plutôt court, une petite fiction proche du réel.
L’inclusivité concerne les personnes qui ne font pas partie de la norme, ou du plus grand nombre. Je pourrais ainsi parler de personne de couleur, mais je rechigne à les mettre dans ce classement (ce n’est ni atypique ni un handicap, à priori). Je préfère aborder le sujet différemment, une autre fois. Bonne lecture !