11 livres inclassables

La plupart des lecteurs ont un genre de prédilection. Je parle ici de fiction. Pour ma part, j’aime les livres inclassables, ceux qui se trouvent à cheval sur plusieurs genres, « touche à tout » ou nulle part. Ceux qui sont pour adultes, enfants, adolescents… On ne sait pas, mais on est ému par l’écriture, la poésie, l’histoire, l’ambiance. Il en existe beaucoup de ces livres, et les choix demeurent personnels, liés à notre vécu et nos attentes. Bienvenue dans mes goûts littéraires, cher passager ! Prends l’avion, la route, la tempête, le désert ou la forêt, les fleurs, les miracles, les distorsions de temps, la vie, l’intelligence ou la candeur, et bon voyage !

Voici mes choix :

1 Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, 1943

C’est devenu un classique, le coup de cœur d’énormément de gens, et personne ne remet en cause la qualité de cette œuvre. Et pourtant, au départ, est-ce que l’auteur pouvait concevoir qu’il resterait dans le cœur de chacun ? Ce livre a été écrit plutôt pour les enfants, alors que Saint-ex se remettait de ses blessures de guerre aux États-Unis. Dans une période de guerre, donc, immobilisé, s’inspirant de contes, de ses dessins, il a créé l’histoire du Petit Prince, publié d’abord aux États-Unis, puis en France, à titre posthume.

C’est l’histoire d’un petit garçon, ou d’un ange, ou d’un prince, ou d’un mirage. C’est l’histoire de l’enfance, ou de la bonté, l’histoire qui se joue en nous quand la version adulte l’emporte sur notre candeur. Peut-on parler d’intrigue ? Oui, d’une quête, d’une transformation. Mi-conte, mi-roman, œuvre poétique, philosophique, pour adulte, ou enfant, d’hier ou d’aujourd’hui et sans doute de demain. J’ai aussi classé ce roman dans les incontournables de l’imaginaire.

Inclassable 1 : Le  Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry.
Le Petit Prince

2 Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes, j’ai lu, 1966

Voilà un roman dont je parle souvent, qui fait partie de mes préférés. Inclassable, pour moi, parce que je le sors de la science-fiction où il est catalogué. Charlie est déficient intellectuel, mais pour s’intégrer il est prêt à tout, même à participer à ce programme qui le rendra intelligent. Les scientifiques sont optimistes, vu les résultats d’Algernon, la souris testée, qui fait des prodiges. Et ça marche aussi pour Charlie. Sa conscience s’éclaire, il voit mieux le monde qui l’entoure, la manière dont on le traite et le perçoit, il tombe également amoureux, et tout comme Algernon devient capable de prouesses. Mais quand la petite souris décline, Charlie comprend ce qui l’attend. Si progresser était enivrant, régresser est un calvaire.

Le thème ici est plutôt le rapport que nous entretenons avec notre environnement quotidien selon ce que notre intelligence nous permet. Mais être intelligent rend-il meilleur ? Les hommes s’avèrent bien souvent mesquins, et Charlie, le naïf, désigne ce qu’est être humain. J’ai déjà cité ce livre dans mon article sur les Incipit.

Inclassable 2 : Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes
Des fleurs pour Algernon

3 Le temps des miracles, Anne-Laure Bondoux. Bayard, 2009

Jemapèlblèzfortunéjesuicitoyendelarépubliquedefrance. Voilà la phrase que doit apprendre notre héros venu du Caucase. Celle qu’il dit quand on le repêche dans un camion, âgé de 12 ans avec un faux passeport.

Aller en France, c’est ce que souhaitait pour lui Gloria Bohème, celle qui l’a élevé et protégé, tout en lui faisant croire en ses rêves. Tout au long de ce périple, elle lui inculque sa philosophie. Koumail-Blaise mettra tout en œuvre pour retrouver cette femme qui a fait de son enfance une bulle de magie, d’espoir, de résilience. Comme sait si bien le faire l’auteure, le récit est poétique, à la frontière du réel, l’intrigue est menée avec douceur et tours de passe-passe. Il est question de migration, d’amour et de sacrifice. La pauvreté est gaie, avec Gloria Bohème, et l’avenir forcément heureux.

Inclassable 3 : Le temps des miracles, Anne-Laure Bondoux
Le temps des miracles

4 Hier tu comprendras, de Rebecca  Stead, Nathan 2011

Miranda, 12 ans, vit à New York en 1979, avec sa mère et son beau-père, dans un appartement. Elle a un meilleur ami, Sal. Mais des événements vont commencer à faire de sa vie une énigme. Des messages qu’elle trouve un peu partout, Sal qui ne lui parle plus, le mendiant en bas de sa rue… Elle tente au travers de son journal de relater les faits, en revenant en arrière pour mieux nous faire comprendre ce qu’elle-même ne saisit pas. C’est aussi une occasion pour retracer sa vie d’ado d’une manière transgénérationnelle.

Un roman plaisant et atypique avec une fin inattendue (qui nous permet de comprendre le titre). Ce type de fiction qu’on a du mal à raconter si l’on ne veut pas trahir la fin de l’histoire. Inclassable, parce qu’il regroupe plusieurs genres, que l’intrigue est en origami, et que les personnages pourront toucher autant les adultes que les adolescents.

Inclassable 4 : Hier tu comprendras, de Rebecca  Stead
Hier tu comprendras

5 Tant que nous sommes vivants, Anne-Laure Bondoux, Gallimard jeunesse, 2011

Bo et Hama se rencontrent à l’usine, monument central de leur quotidien, on ne sait à quelle époque, on ne sait dans quel pays. Elle est ouvrière et croise Bo quand lui vient travailler la nuit, cela suffit pour qu’ils tombent amoureux. Au fil du temps, ils se découvrent au travers de conversations et de sorties le dimanche. Ils sont heureux dans la grisaille, mais lorsque l’usine prend feu, tout s’effondre. Ils sont contraints de partir sur les routes, d’affronter le désenchantement. Tsell nait, c’est leur petite fille. Elle prend la parole pour raconter leur histoire, puis la sienne, quand elle se retrouve seule.

Le récit se déroule sur de nombreuses années, les héros évoluent, changent. Ce roman ressemble à un conte, poétique et philosophique, effleure le fantastique, mais parle bien des troubles de l’humanité, de ses espoirs et du sens de la vie.

Inclassable 5 : Tant que nous sommes vivants, Anne-Laure Bondoux
Tant que nous sommes vivants

6 Enfants de la forêt, de Béatrice Masini, La joie de lire, 2012. Plutôt à partir de 15 ans.

Ce roman pourrait être classé en dystopie, mais de ce monde détruit et futuriste, on ne voit pas grand-chose. On rencontre des enfants qui vivent dans une sorte de réserve, ni éduqués ni protégés. On leur donne juste de quoi survivre, quelques médicaments pour les maintenir dans une pensée brute. Un jour, l’un d’entre eux se défait de cette emprise chimique, sous le nez des caméras derrière lesquelles des hommes les surveillent. Il trouve un livre. Et cet objet du passé va le pousser à évoluer. Il engage ses compagnons à le suivre pour découvrir le monde au-delà de la forêt.

Un récit atypique parce qu’on ne sait pas de quoi il est question, pourquoi ces enfants sont là, ce qu’il y a au-delà de la forêt. On comprend qu’une guerre nucléaire a fait d’eux des êtres à part, uniques survivants d’un monde à la dérive. Mais eux ne savent rien. Ils vont apprendre à vivre par leurs propres moyens, à retrouver une liberté perdue, un sens à leur existence. Une œuvre poétique et philosophique à l’ambiance prenante. J’en ai déjà parlé dans mon article sur les dystopies.

Inclassable 6 : Enfants de la forêt, de Béatrice Masini
Enfants de la forêt

7 Le livre de Perle, Timothée de Fombelle. Gallimard jeunesse, 2014

Exilé de son monde de magie, Joshua Perle va être recueilli par des fabricants de guimauve, dans le Paris de 1936. Sans identité, il remplacera le fils de ceux-ci. Mais c’est un jeune homme mystérieux, atteint d’une malédiction, qui fera tout pour retrouver la femme qu’il aime.

L’intrigue est complexe, et je pense que tous les adolescents ne comprendront pas tout ce qui se joue, seul un lecteur habitué pour adhérer à la narration et au procédé mis en place. Les codes du fantastique ne sont pas classiques, pas évidents, les héros sont adultes, mais la portée de l’histoire demeure universelle. C’est un livre qui nous laisse une impression qui ne s’efface pas, une envie de relire pour mieux saisir la philosophie de l’œuvre.

Inclassable 7 : Le livre de Perle, Timothée de Fombelle
Le livre de Perle

8 Et le désert disparaîtra, de Marie Pavlenko, Editions Flammarion, 2020

Samaa, douze ans, vit dans un monde stérile. Les hommes quittent la tribu de longs mois pour traquer le bois, si rare. En le vendant à la ville, ils assurent la survie de tous, malgré ce que peut dire l’Ancienne qui se souvient des temps plus riches. L’adolescente sait que les femmes s’occupent du camp. Malgré tout, elle rêve de partir avec les chasseurs, comme le fit son père.

Un jour, elle suit en douce le groupe de chasseurs. Elle affronte le désert et finit par se perdre, déboutée par une tempête de sable. Blessée, au fond d’un trou, elle sera amenée à redéfinir ses croyances et ses priorités.

Samaa a quelque chose du Petit Prince, ses rencontres sont poétiques, instructives, uniques et précieuses. Il lui faut réapprivoiser le monde, ce monde qui pourrait être le nôtre, malmené, détruit, insensé. Dystopie ? Conte ? Encore un mélange des genres qui rend ce roman inclassable. Avec rythme et poésie, l’auteure nous embarque dans un univers sec, presque mort, et ravive en chacun de nous l’espoir de pouvoir changer les choses.

Inclassable 8 : Et le désert disparaîtra, de Marie Pavlenko
Et le désert disparaîtra

9 L’anomalie, Hervé Le Tellier, Gallimard, 2020

Prix Goncourt 2020, ce roman met en scène des passagers d’un avion à destination des États-Unis. On suit les différents personnages chargés de leurs problématiques, passagers et pilotes. Mais voilà, un incident étrange perturbe le vol. Ils atterrissent cependant et chacun poursuit sa vie. Mais quelques mois plus tard, les retombées de l’incident en question se font sentir (on peut essayer d’entretenir le suspense, si vous n’avez encore rien lu à propos de cet ouvrage).

Les protagonistes vont affronter autant l’altérité que leur singularité et devoir retourner dans leur vie… conçue pour une personne, et une seule, qui a creusé sa place.

Cette fiction n’est pas si inclassable, puisqu’elle s’inscrit dans les codes du fantastique. La technique d’écriture joue avec le « et si… ». C’est toutefois un roman intelligent, qui questionne sur notre identité et la place que l’on occupe, le sens qu’on lui donne, que l’on se donne. Une portée philosophique, donc, pour un roman qui n’a pas convaincu tout le monde, mais qui a été classé comme… inclassable. Plutôt à partir du lycée.

Inclassable 9 : L’anomalie, Hervé Le Tellier
L’anomalie

10 Rien n’est moins sûr, de Jean-Pierre Brouillaud, éditions Chum, 2021.

Un petit délice que ce recueil de nouvelles d’un auteur connu dans le monde du théâtre. « Les personnages de ce recueil ne sont pas sans rappeler Boris Vian ou Courteline », est-il écrit sur la 4e de couverture. J’ai également pensé à Raymond Devos que j’adore. L’auteur aime jouer avec la langue française, les parenthèses et les expressions aussi convenues que vidées de leur sens, mais pas seulement. L’absurde met en exergue nos fragilités, avec douceur et humour. Les personnages ont cette détresse de mal exister, d’être invisibles, banals, discrets. Entre la vie et la mort, il n’y a finalement pas tant d’espace, de temps, de différences, d’attentes. C’est un tout, à nous de faire en sorte d’être vivants et voyants, tel que l’écrivait Arthur Rimbaud. Voyant, ou vu ? Brillant ou médium ? Vivant ou mort ?

Il est dommage, encore une fois, que certains auteurs soient moins médiatisés que d’autres et évoluent dans l’indifférence générale (« parce que dans la langue française, l’indifférence est toujours générale »). Le parallèle avec ce que je viens de dire, et ce que l’auteur écrit, n’est pas anodin. Un livre que j’ai découvert par erreur ou par hasard et le hasard a très bien fait les choses (le hasard fait souvent bien les choses, dans la langue française, même si parfois on ne sait pas quelles choses, mais après tout, c’est le hasard, il fait ce qu’il veut).

Un texte intéressant pour les écrivains qui souhaiteraient sortir des banalités du langage et rendre leurs œuvres plus originales.

Inclassable 10 : Rien n’est moins sûr, de Jean-Pierre Brouillaud
Rien n’est moins sûr

11 Une âme flottante, de Philippe Marly. Éditions Behagle, 2022.

 Un thriller érotico-métaphysique d’un auteur encore peu connu, à partir du lycée.

En 2004, il y a eu ce tsunami dans l’océan Indien. On a compté des morts et de nombreux disparus. La disparation a cela de terrible, qu’elle n’offre ni la vie, ni la mort, que cet état de suspension, de flottement. Justine a perdu Marc. Son corps. Mais partout elle le voit, le perçoit. Son amour ne s’en remet pas. Elle passe d’un homme à l’autre, retirée de la jouissance de la vie.

Sa rencontre avec Sylvie devient une étape sur le chemin de la réappropriation de ses sens, ou du sens de l’existence. Des scènes étranges, des hallucinations, des pressentiments, des coïncidences affrontent sa conscience, mettent en péril la vérité, s’il y en a une.

Peut-être trouve-t-on dans ce livre plus une ambiance qu’une histoire, celle-ci se jouant sans arrêt de nous. Comme dans un film de Wim Wenders, nous ignorons si nous lisons du fantastique, un drame philosophique, un récit d’amour, un thriller…

La plume est belle, les lieux sont extrêmement bien décrits, la trame est complexe, enrobée de culture, de psychologie, de philosophie. Et j’ai souvent pensé au roman L’anomalie.

Inclassable 11 : Une âme flottante, de Philippe Marly
Une âme flottante

Ma sélection demande à être complétée. J’attends vos titres, je suis curieuse d’en découvrir d’autres.

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